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Essai non définitif sur l’esprit de poésie

Daniel Laufer
La Nation n° 2173 23 avril 2021

Qu’est-ce que la poésie? Robert: 1. Art du langage, visant à exprimer ou à suggérer par le rythme (surtout le vers) l’harmonie et l’image. 2. […]. 3. […] 4. Propriétés poétiques qui peuvent se manifester dans toute œuvre d’art. 5. Qualité d’émotion esthétique (que peut éveiller un spectacle, un lieu, une situation).

On reste là en surface, mais il y a déjà tout de même une juste et première distinction entre la composition d’un poème et l’esprit de poésie, comme nous l’avions observé naguère (La Nation n° 2147), dans une réflexion qu’il nous faut poursuivre. Tout poème n’est pas nécessairement poétique; cette dernière affirmation a d’ailleurs quelque chose de tout à fait banal. Il s’en faut de beaucoup en effet pour qu’une suite de vers obéissant scrupuleusement aux règles admises quant aux rimes, au nombre de syllabes, à la césure, etc., par exemple un pur sonnet, soit véritablement poétique par le seul fait de la soumission à ces règles. Mais un speech de cantine, laborieusement mis en vers est moins terne, justement moins prosaïque que ce même discours en prose; pourtant l’auteur de ces couplets sait bien que son «poème» n’est pas une œuvre poétique. A l’inverse, on ne peut nier qu’il y a un esprit poétique non seulement dans des poèmes dits «en prose», mais même et surtout dans les proses d’un romancier, par exemple chez Ramuz dans La Beauté sur la Terre.

Il faut donc approfondir la distinction entre, d’une part, le poème à forme fixe, qui est tout simplement un art du langage, qui est destiné à l’oreille, à une récitation, qui est en quelque sorte un amusement, d’ailleurs non nécessairement dépourvu de poésie, comme l’est une fugue ou une chaconne, et d’autre part un texte poétique, un texte qui ne veut être que poésie et qui perdrait sa saveur s’il devait être contraint par le carcan de la prosodie classique. Philippe Jaccottet nous écrit, au moment d’accepter la charge de président d’honneur du Concours de poésie française dit de La Feuille de chêne: «Et juste une petite réserve concernant l’accent mis sur les formes classiques: la poésie vivante presque toujours s’en éloigne, et je craindrais qu’en insistant sur ce point, vous ne favorisiez que des épigones plus ou moins doués…» Les trois premières éditions du Concours semblent lui avoir donné raison! Tout de même, les poèmes «classiques» des lauréats apportent heureusement la preuve qu’aujourd’hui encore on peut écrire des poèmes, et même des sonnets dont la justesse et le rythme des vers créent la magie poétique.

Et puis il faut le dire, quitte à se répéter: non seulement il est extrêmement rare d’entendre réciter de mémoire des textes en prose; mais au contraire nous sommes tous capables de citer tout ou partie de maint poème. La prose échappe à la mémoire. Pendant des siècles et jusqu’à l’invention de l’imprimerie, la grande poésie, Homère, Virgile, Horace, Lucrèce et tant d’autres, s’est transmise par voie orale, mode de transmission aussi sûr, sinon plus, que l’écrit. Faut-il donc aujourd’hui considérer que tout cela appartient à un passé révolu? Que si l’on est encore sensible à la beauté si originale de la récitation d’une Fable par un Fabrice Lucchini, tout effort dans l’écriture d’un poème que l’on devrait dire par cœur est voué à l’échec? La seule poésie écrite, lue ou vue, mais non plus entendue, a-t-elle seule droit de cité? C’est assez probable… jusqu’au temps où le vers libre aura «trouvé sa rigueur» comme le souhaitait François Debluë. Mais en attendant il nous reste heureusement les innombrables trésors conçus dès le fond des âges et jusqu’à hier, dans des vers qui nous enchantent encore.

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