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Trop de gymnasiens

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2230 30 juin 2023

Auguste Piccard, Beaulieu, Bugnon et son excroissance de Sévelin, Burier, Bussigny, Chamblandes, La Cité, La Broye, Morges, Nyon, Provence, Renens, Yverdon. C’est la liste actuelle des gymnases vaudois, qui abriteront les 14’000 élèves (presque 10’000 en voie Maturité et 4’500 en voie Diplôme) attendus pour la rentrée de septembre. En cinq ans, la durée d’une législature vaudoise, les effectifs des gymnasiens vaudois ont augmenté de 22%, soit une croissance de 2’300 élèves. Cette augmentation concerne l’ensemble des filières. La population du Canton, certes en forte croissance, a crû de 25%, mais en quinze ans, pas en cinq.

Cette croissance correspond à une autre: de 1976 à 2021, la proportion d’élèves de la voie justement appelée «pré-gymnasiale» est passée de 24 à 46%.

Pour l’absorber, on attend l’entrée en fonction d’un gymnase à Aigle en 2026, et à Echallens en 2027. Les retards pris dans leur construction ont forcé le Département à lancer, dans l’urgence, l’installation d’un gymnase à Crissier pour la rentrée 2024. Il aurait vocation à être provisoire. On verra.

Sur les ondes de Forum du 22 juin, M. Frédéric Borloz a rappelé que 5% d’apprentis en plus suffiraient à supprimer un gymnase. Il a développé la liste des mesures entreprises pour augmenter «l’attractivité» de la formation professionnelle. Nous savons que son engagement dans cette voie est sincère. N’osant directement s’en prendre aux rêves universitaires des parents, il a notamment mis en lumière la méconnaissance des enseignants.

Le problème paraît systémique: dans les collèges, les processus d’inscription au gymnase sont automatisés, tant on présume la volonté des élèves d’y aller. De nombreux parents témoignent avoir dû forcer la porte pour interrompre une telle dynamique.

M. Borloz lui-même a évoqué à la radio les «élèves qui souhaitent» aller au Gymnase. Il aurait dû dire «qui peuvent». Augmenter les exigences est aussi un moyen de faire baisser les chiffres. Y voir d’abord une affaire de volonté individuelle revient à prolonger l’illusion de l’égalitarisme. Près de la moitié (46%) des élèves vaudois a-t-elle vraiment soudain atteint un niveau que seul un quart des adolescents vaudois atteignait il y a 50 ans? Je suis toujours effrayé de constater combien mes compétences en français et en latin sont inférieures, à diplômes égaux, à celles des rédacteurs de La Nation plus âgés que moi. La dégringolade du niveau des exigences ne fait aucun doute.

Nous voyons derrière cette ouverture des vannes la marque d’une structure mentale autant que d’un héritage. On ne peut pas réellement attendre d’enseignants passés par l’UNIL et la HEP qu’ils aiguillent les élèves vers autre chose que ce qu’ils ont eux-mêmes connu. Sans compter que, pour une large frange de l’opinion, une université pleine à craquer consacre l’aboutissement de l’égalité des chances. Trente années de direction socialiste de la formation, précédées de décennies de réformes radicales (voir encadré), auront laissé de profondes traces idéologiques, soigneusement entretenues à la HEP. Elles ne disparaîtront pas du jour au lendemain des couloirs de la rue de la Barre.

Les difficultés que pose l’augmentation du nombre de gymnasiens dépassent pourtant la promotion de la filière professionnelle justifiée par la nécessité d’assurer la relève dans les différents métiers.

La surpopulation gymnasiale ouvre la voie à la surpopulation des Hautes écoles. Il n’est pas souhaitable pour l’équilibre du Canton de créer une vaste catégorie de la population diplômée, sûre de son éducation et de sa valeur, mais de plus en plus surqualifiée pour le travail qui lui est confié. Il en découle une ghettoïsation selon la formation, autant qu’une prolétarisation. Combien de ces universitaires de trente ans qui gentrifient Lausanne, directement ou indirectement dépendants de l’Etat, ont-ils d’anciens apprentis dans leurs connaissances?

Il y a enfin un immense enjeu d’intégration et d’assimilation. Les étrangers sont proportionnellement plus nombreux à faire des apprentissages que les Vaudois. Il est dangereux pour l’unité du Canton que les Vaudois se dirigent majoritairement vers les Hautes écoles, au risque d’abandonner des pans entiers de l’économie à des représentants des communautés étrangères.

Nous saluons la volonté du Conseil d’Etat de «promouvoir» l’apprentissage. Nous pensons qu’il est temps de restreindre l’accès au gymnase.

Une ancienne pente

En 1956, le pouvoir radical imposait sa réforme du collège et deux ans de tronc commun. Les années 1980 virent l’introduction du Nouveau français contre lequel Jean-Blaise Rochat devait publier Les Linguistes sont-ils un groupe permutable? (CRV 115). Durant la même décennie, l’examen d’entrée au collège fut remplacé par une, puis deux années d’orientation. En 1995, le socialiste Jean-Claude Schwaab introduisit Ecole vaudoise en mutation (EVM). La LEO de Mme Lyon arriva en 2013, tôt suivie du «Concept 360°» de Mme Amarelle. En 2032, nous connaîtrons le Gymnase en quatre ans.

Chaque réforme accélère la course à l’égalité. Le niveau ne cesse de s’effondrer et les volées gymnasiales de gonfler.

 

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