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Trois points de vue sur un acquittement

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2230 30 juin 2023

Le militant ultra

En fait, cet acquittement est une grande victoire pour la Cause. Un homme qui meurt, c’est toujours triste, bien sûr. Mais l’essentiel, politiquement, c’est que l’affaire a fait toute la lumière sur la collusion d’une police raciste et d’une justice complice, ainsi que sur l’existence de moins en moins occultée du racisme systémique des Suisses.

La presse a parlé de «policiers blanchis». Structures crypto-racistes de la langue française! Rien n’est innocent, dans cette affaire!

Le pouvoir a reculé devant la colère des jeunes. Nous avons pu lancer des insultes à la face de la police dans l’enceinte même du Tribunal! C’est un immense progrès! On a même cerné le chef de la police, acculé contre un mur! Finalement, la presse a pas mal fait mousser l’affaire. Il y a juste eu l’infâme article de Christophe Passer dans le Matin-Dimanche, lequel s’est lamentablement laissé aller à énumérer les activités prétendument délictueuses de Mike. Ce journaliste, qui fait le lit de l’extrême-droite, est la honte de la profession. Mais il ne perd rien pour attendre!

Le combat continue: l’appel au Tribunal cantonal, puis au Tribunal fédéral! Ça va chauffer jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme! Et si celle-ci ne flétrit pas les justices vaudoise et fédérale, elle prouvera simplement ce que toutes les consciences éveillées savent déjà: le suprémacisme blanc le plus cynique sévit aussi dans les tribunaux européens. Le texte justement indigné qui dénonce cet état de fait circule déjà sur nos réseaux.

A l’image de la famille d’Adama Traoré, la courageuse famille de Mike se prépare au combat! Ils empêchent les bonnes consciences blanches de se rendormir. «Divine surprise!», comme ils disent, nous venons de lire dans 24 heures1 que «le président du collectif A qui le tour appelle à la révolte des noirs de Suisse». La dénonciation, par ces jeunes d’ascendance africaine, d’une prétendue coexistence pacifique entre les races contribuera certainement à la déconstruction, que nous appelons de nos vœux, du système suisse, capitaliste, raciste et sexiste!

L’ennui, c’est que, plus on va haut, plus la justice est lente. On en a peut-être pour des années. Il faudra maintenir la pression, notamment en exigeant, dès après les vacances – institution essentiellement contre-révolutionnaire –, une véritable «justice pour Nzoy».

Les condoléances indignes exprimées le soir même à l’attention de la famille de Ben par les autorités lausannoises manifestaient plus de faiblesse que de sincérité. Indice encourageant, dans cette lutte pour une police et une justice véritablement démocratiques!

Le philosophe politique

Le statut du policier est différent de tous les autres. Il est à la limite entre l’ordre et le désordre, entre l’autorisé et l’interdit. Derrière lui, il y a la civilisation, qui attend qu’il la protège. Devant lui, il y a la barbarie, qu’il a pour charge de contenir. Mais pour se faire comprendre des barbares – quand il s’agit, par exemple, d’interpeller un suspect –, il doit parler le barbare. Et le parler barbare ne vise ni le dialogue raisonnable, ni le consensus. Il est surtout fait de rapports de forces, de menaces et d’affrontements physiques. Nous attendons du policier qu’il parle aussi ce langage-là. Et en plus, nous exigeons qu’il le parle d’une façon civilisée.

Le policier est donc appelé à incarner, en permanence et à la perfection, les quatre vertus que sont la prudence, qui discerne la fin juste et les moyens adéquats; la tempérance, qui est maîtrise des instincts; la justice, qui rend à chacun son dû; et la force, c’est-à-dire le courage et la résistance. C’est aussi, soit dit en passant, la résistance morale du policier face à ceux qui le haïssent par principe, et l’appellent toute honte bue en cas de besoin.

Sur cette trame vertueuse, le policier ordinaire brode son action aussi bien qu’il peut, sachant que le moindre soupçon d’écart peut le conduire au tribunal.

Ses chefs jouent ici un rôle primordial. S’il est juste qu’ils lui imposent une discipline intraitable à l’interne, il est juste aussi qu’ils lui offrent une protection de même niveau face à la presse, toujours en quêtes d’émotions faciles, et aux politiques qui, démocratie oblige, désirent plaire à tout le monde.

Le point de vue du citoyen lambda

Bon, il paraît que c’était un trafiquant de drogue récidiviste, sous le coup de quatre mandats d’arrêt au moment du drame. Il avait dissimulé des boulettes de cocaïne dans ses joues. Interpellé, il a refusé de se rendre aux policiers et s’est débattu au point qu’ils ont dû s’y mettre à plusieurs pour le maîtriser. Il est mort sans qu’on sache exactement pourquoi. On a parlé de «multi-causalité». Moi, je trouve que ces policiers ont fait leur boulot. Je suis d’accord avec le Tribunal qui les a blanchis entièrement, ne reprenant même pas la violation du devoir de prudence qui avait été retenue par le procureur.

Mais pourquoi a-t-il fallu attendre cinq ans pour ce jugement? C’est bien trop long. La justice pénale devrait être rapide, passer quand les faits sont encore bien présents dans les mémoires et que l’affaire n’a pas encore eu le temps de pourrir. Car elle a vraiment pourri, cette affaire, au-delà de toutes proportions! Et ce n’est pas fini. Cela doit nous servir de leçon.

Et à propos de traîner, qu’attend donc la Municipalité de Lausanne pour faire disparaître l’énorme graffiti «la police tue» qui se trouve à César-Roux, sur le mur extérieur de l’«Espace autogéré», c’est-à-dire de l’ancienne Dolce Vita?

Notes:

1   24 heures du 22 juin, «Revivez ce procès inédit minute par minute».

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