Sursis
C’est le titre du dernier ouvrage de Pierre De Grandi, ouvrage qui révèle une force et un courage non dépourvu d’humour, même devant la mort, mais qui révèle aussi la plume d’un grand écrivain. Il fait mentir La Rochefoucauld, car non seulement il la regarde fixement, la mort, mais le médecin qu’il est resté et à qui on ne peut rien dissimuler lui tend des chausse-trapes. L’on assiste à une extraordinaire réflexion qui se poursuit dans les chapitres impairs sur l’être et le néant, le silence de Dieu, la réalité d’un Au-delà que son scepticisme foncier met sérieusement en doute. Pourquoi les chapitres dits impairs? Parce qu’il prévient son lecteur que «son essai tente de s’inspirer de la réalité de la vie pour déplier un imaginaire de la mort… Quand j’inspire (chapitres pairs), je reçois l’oxygène qui me fait vivre: je suis dans le réel. Quand j’expire (chapitres impairs), j’expulse le CO2 résultant de mon métabolisme en utilisant le verbe qui signifie également rendre son dernier souffle: je suis dans l’imaginaire.»
C’est ainsi que par une tournure littéraire audacieuse, l’auteur, à la fin du chapitre 35, nous dit: «Je renonce à décrire, dans les chapitres impairs conçus à cet effet […] les chimères imaginaires d’un éventuel arrière-monde ou autres spéculations à propos des us et coutumes en vigueur dans d’hypothétiques paradis.» Il y a chez lui toujours une note qui fait sentir combien il juge lui-même que sont dérisoires ses spéculations face à la mort, sans pour autant qu’il renonce à l’espoir «d’une révélation toujours bienvenue mais toujours improbable…»
Ainsi De Grandi nous emmène dès les premiers chapitres où lui est révélée la première attaque, suivie immédiatement d’une contre-attaque, dans une sorte d’immense partie d’échecs dont il sait qu’il ne sortira pas vainqueur. Loin d’être seulement une autobiographie de l’homme atteint d’un sarcome, Sursis évoque avec une belle gaîté les années heureuses, les beautés des paysages aimés, comme aussi le souvenir d’un père – Italo De Grandi – à qui il doit tant. Les derniers chapitres, tous pairs, forment alors un prélude de la fin, un prélude serein. Enfin presque. Ce livre est admirable.
Référence: Pierre de Grandi, Sursis, Editions Slatkine, 2023.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Trop de gymnasiens – Editorial, Félicien Monnier
- Gratuité des transports publics: une compétence fédérale? – Pierre-Gabriel Bieri
- La nouvelle péréquation intercommunale vaudoise – Vincent Hort
- Grande matinée à Mézières – Jean-François Cavin
- Trois points de vue sur un acquittement – Olivier Delacrétaz
- Partialité de la RTS – Olivier Delacrétaz
- Société: entre médias et réalité – Benoît de Mestral
- Jeunesse, armée, courage – Jacques Perrin
- Neutralité hybride - Cahier de la Renaissance vaudoise n° 159 – Olivier Klunge
- Chronique sportive – Yves Guignard