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Neutralité hybride - Cahier de la Renaissance vaudoise n° 159

Olivier Klunge
La Nation n° 2230 30 juin 2023

L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a démontré à nombre d’Européens que la fin de l’histoire n’était pas encore advenue et que les réalités militaires restaient d’actualité. Elle a aussi montré un grave état d’impréparation non seulement des armées, mais aussi de la théorie militaire, depuis la fin de la Guerre froide.

En Suisse, la neutralité est revenue au centre des débats, nos politiciens restant empruntés entre désir de s’arrimer à l’Union européenne, idéologie pacifiste, et invocation d’une tradition séculaire.

La reprise des sanctions européennes contre la Russie a-t-elle signé la fin de notre ancestrale neutralité ou n’est-ce qu’une nouvelle adaptation d’une notion à géométrie variable? L’abandon par le Conseil fédéral d’un nouveau rapport définissant une neutralité «coopérative» imaginée par Ignazio Cassis était-il un aveu de faiblesse ou une fine manœuvre pour faire accroire que rien n’a changé depuis 1993?

Ne se contentant ni des proclamations emphatiques, ni des louvoiements balourds, les Cahiers de la Renaissance vaudoise ont réuni six auteurs pour offrir le premier ouvrage traitant de manière approfondie ce thème depuis février 2022; d’abord avec un point de vue historique: Jean-Jacques Langendorf convoque avec volubilité les contempteurs de la neutralité alors que Pierre Streit retrace avec précision et met en perspective l’évolution de la politique de neutralité armée et sa réception depuis la fin de la Guerre froide.

Edouard Hediger, après avoir défini la notion de guerre hybride, présente les différences de doctrines entre Occident et Russie au sujet de l’escalade des mesures vers la guerre. Les Russes ne font pas de distinction entre les armes, qu’elles soient balistiques, diplomatiques, cyber ou économiques, et subordonnent le tout à la volonté politique du chef. Ainsi, les sanctions économiques sont déjà comprises fondamentalement comme un acte de coercition belliqueux. Alors que la guerre se porte dans les sphères cyber, informationnelles et économiques, la Suisse a beau être un îlot entouré par l’UE et l’OTAN, elle peut être aujourd’hui impliquée dans des conflits où il n’est plus nécessaire de traverser des frontières pour attaquer.

Jean-Baptiste Bless, en sirotant un verre au crépuscule face à l’océan sénégalais, discute avec d’autres expatriés occidentaux de la signification de la neutralité pour la perception de notre pays. Jérémy-David Benjamin, avec une clarté qui fait honneur à sa formation juridique, analyse la Loi fédérale sur les embargos, le contexte de son adoption et son application par le Conseil fédéral, rappelant que, depuis 1998 et l’adoption des sanctions de l’UE envers la République fédérale de Yougoslavie, la Suisse a repris de manière autonome plus d’une dizaine de trains de sanctions hors des décisions de l’ONU.

Rappelant que la politique internationale est d’abord faite d’intérêts, Félicien Monnier conteste la pertinence pour la Suisse de s’aligner sur un axe Washington-Bruxelles-Kiev au nom d’un prétendu «bloc de valeurs démocratiques». Explicitant la distinction entre morales individuelle et politique, il récuse le sacrifice d’une neutralité protectrice de la cohésion interne de la Confédération au nom d’une morale individualiste érigée en maxime diplomatique. Abordant les sujets chauds du moment (livraison d’armes, sanctions économiques, collaboration avec l’OTAN, solidarité internationale), il affirme que le jeu d’équilibrisme de la neutralité donne aux réalités politiques suisses leur place dans l’ordre du monde.

La majorité des auteurs de ce cent cinquante-neuvième CRV n’ont pas connu la Guerre froide. Loin d’une nostalgie helvétisante, cet ouvrage de 160 pages réaffirme, dans un monde en ébullition, que la neutralité sert d’abord l’unité de notre fragile et multiculturelle Confédération, mais aussi sa pertinence comme contribution spécifique de la Suisse à la pacification des relations interétatiques. Un papillon de commande est encarté dans ce numéro. Faites-en bon usage!

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