Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Aspects de l’étatisation progressive de la société - La concurrence entre l’Etat et les entreprises

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2256 28 juin 2024

En tant qu’employeurs, entreprises et administrations sont en concurrence. A l’heure où la pénurie de main-d’œuvre se fait sentir, les conséquences de la concurrence étatique en matière de salaires, qui conduit à la surenchère, sont malvenues. Cela interpelle d’autant plus que cette distorsion s’effectue grâce aux moyens financiers fournis par les contribuables, et parmi eux par les entreprises elles-mêmes. On a vu (La Nation N° 2254 du 31 mai 2024) que les administrations, fédérales surtout mais aussi cantonales et communales, versent des salaires supérieurs à ceux accordés dans le secteur privé. L’attractivité de l’administration est certes une bonne chose, mais cela ne saurait conduire à compliquer le recrutement de travailleurs qualifiés par les entreprises. Or, cette situation concurrentielle s’exacerbe encore plus lorsqu’on regarde les avantages accessoires concédés aux serviteurs de l’Etat. Sur le plan des caisses de pension, l’écart s’accroît. A la Confédération, pour un cadre de 55 ans des classes de salaires 24 à 38 (150’000 francs et plus), la contribution de l’employeur atteint 24,3% et celle de l’employé 12,8%, soit au total 37,1%, alors que le taux légal est de 18%. Et on rappellera que le Canton de Vaud est le dernier avec Genève à conserver une caisse de pension en primauté de prestations, ce qui a nécessité plusieurs recapitalisations représentant des centaines de millions de francs.

Dans le domaine des ressources humaines, la concurrence entre Etat – ou structures administratives – et entreprises privées n’est pas simple à résoudre. Jusqu’où en effet encourager l’attractivité de l’Etat employeur, jusqu’où attendre de lui qu’il recrute des gens compétents, à même d’effectuer aux mieux leur mission dans le respect d’un appareil normatif toujours plus complexe. Revers de la médaille, jusqu’où tolérer que, avec les moyens mis à sa disposition par les contribuables, l’Etat concurrence, voire évince des acteurs privés? Non sans ironie, on voit bien que ceux-là même qui déplorent l’inefficacité de l’Etat ou la lenteur des procédures sont les mêmes qui s’offusquent de la concurrence étatique sur le marché du travail. On peut cependant espérer que le fait de mettre la tendance en lumière et d’appeler les pouvoirs publics à plus de retenue aura pour effet de modérer une évolution que tout un chacun perçoit comme nuisible.

Une frontière privé-public floue

Tout aussi nuisible est la progressive captation, par des structures para-étatiques, de marchés ou de domaines d’activité. Depuis une dizaine d’années maintenant, et sous couvert de diversification, de plus en plus d’entreprises appartenant entièrement ou partiellement au secteur public deviennent des concurrentes directs des entreprises de droit privé et des entreprises commerciales en proposant de nouveaux services. C’est le cas lorsque des acteurs importants du domaine de l’énergie, mais aussi des communications, mettent à profit leur position monopolistique ou dominante sur le marché pour s’installer en tant que concurrents d’entreprises privées. Dans une économie libre, rien ne s’oppose à une concurrence loyale, mais les règles du jeu devraient être les mêmes pour tous. Or, dans la concurrence entre les entreprises de droit privé et les prestataires de services publics, les règles du jeu sont inégales: les entreprises publiques s’imposent grâce à leurs capitaux importants et l’accès direct aux clients que leur procure leur position de monopole.

La question là non plus n’est pas simple à résoudre, car les rachats d’entreprises privées par des prestataires de service publics répondent à la volonté de certains cédants de maximiser leurs rentrées financières. Elle pourrait cependant être tout au moins en partie résolue par une amélioration de la transparence, par la constitution de sociétés séparées et par l’interdiction des financements croisés entre activités de type privé et activités soumises à monopole.

Une tendance pernicieuse

On doit encore faire face à une tendance lourde: dès lors qu’on entre dans une zone de turbulences économiques, les appels à l’intervention étatique se multiplient. Parmi ses multiples origines, et c’est en partie la victoire des forces étatistes, on évoquera l’idée désormais bien implantée que l’activité de l’Etat présente plus de garanties que celles du privé et que l’absence de recherche de bénéfice – on ne parle même pas de l’horrible mot qu’est devenu le profit – est la garantie d’une activité moralement irréprochable. On doit y voir le résultat non seulement d’une mauvaise compréhension de l’activité économique, mais aussi de vertus fantasmées de l’activité de l’administration. Des exemples contraires foisonnent pourtant, du chantier autoroutier dans le Haut-Valais aux errements informatiques fédéraux.

L’intervention accrue des Etats en matière financière, observée depuis la crise des subprimes, a certainement accentué le phénomène. Le travail intensif de la planche à billets a instillé puis conforté l’idée que l’Etat était tout puissant. Dès lors, qu’il s’agisse des conséquences de la pandémie ou de la «crise» énergétique, de plus en plus d’entreprises appellent à la régulation et aux aides d’Etat. On doit ainsi constater que, d’un Etat garant des conditions cadres et de règles du jeu communes, on en vient progressivement à attendre de lui des interventions et des soutiens accrus. On est en quelque sorte passé d’un Etat «papa» à un état «maman», on est passé du «cadre» au «care».

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: