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Croyance et connaissance

Jacques Perrin
La Nation n° 2256 28 juin 2024

Selon l’épistémologue Roger Pouivet (voir notre article dans La Nation du 31 mai), il existe une asymétrie entre croyances et connaissances, revendiquée par une grande majorité des savants d’aujourd’hui.

Si je crois qu’il reste du beurre dans le frigo, sans en être certain, je n’ai qu’à ouvrir celui-ci. Je vois la plaque sur le beurrier: désormais je sais qu’il y en a. Pour un savant, Christ est ressuscité est une opinion ni vraie ni fausse. La terre tourne autour du soleil est une connaissance, vraie, dont on peut donner des preuves. La croyance est subjective, irrationnelle, émotive, déficiente. Celui qui croit ne sait pas. Seules les connaissances scientifiques s’imposent; les croyances, religieuses notamment, doivent se terrer dans l’espace privé. La connaissance est objective, certaine, évidente; la croyance illusoire. La connaissance, c’est du sérieux, la croyance, c’est du mielleux. Dans un monde civilisé, la religion n’a pas sa place dans l’espace public où les conflits religieux conduisent à la guerre et au malheur. Au mieux, on s’extasiera devant les temples, cathédrales et mosquées, simples objets culturels, surtout dans les mégapoles où religions et sectes offrent une attirante diversité touristique. Seul l’islam, qui revendique une identité trop visible, fait peur.

Selon Pouivet, les sciences sociales et psychologiques délient la croyance religieuse de la rationalité et de la vérité. Il est d’avis que la thèse des deux régimes épistémologiques, celui de la croyance et celui de la connaissance, présente des faiblesses.

Dans quelque religion que ce soit, seule une personne se préoccupant de la vérité, attirée par celle-ci, est croyante. Si elle croit la proposition p, c’est que p est vraie. On ne peut croire que le vrai. C’est parce que la vérité est unique, non pas plurielle, que les religions s’opposent. Il n’y a qu’une religion qui soit vraie.

Ceux qui croient devraient-ils renoncer à leurs croyances fondamentales et sérieuses et s’incliner devant la distinction entre croyance et connaissance? Pouivet conteste que celle-ci soit pure et nette. Les connaissances aussi sont provisoires. Elles changent, elles ont une histoire. Le progrès scientifique implique que les théories soient falsifiables, qu’elles ne se ferment pas à des expériences ou des informations qui les révéleraient fausses. La distinction croyance/connaissance est moins tranchée qu’elle ne semble. Dans une certaine mesure, les métaphysiciens adeptes de la théologie naturelle trouvent des preuves de l’existence de Dieu et déduisent les propriétés du divin (la simplicité, la toute-puissance, la bonté parfaite, l’omniscience).

Le croyant est-il un handicapé épistémique, le jouet d’illusions psychologiques? On ne peut déclarer les croyances religieuses coupables avant de les juger. Seule importe la relation qu’entretiennent croyance et connaissance avec la vérité. On ne peut ni savoir ni connaître le faux. Je ne peux plus croire ce qui s’est révélé faux. Les croyances religieuses sont aimantées par la vérité, même si nous n’accédons pas parfaitement à celle-ci en ce monde. On ne peut pas croire en Dieu à 57%, jusqu’à plus ample informé. On croit à la proposition Dieu existe en tant que vraie. C’est tout ou rien. Je crois aussi que je m’appelle Jacques, y croire à moitié serait inquiétant… J’existe, un monde extérieur existe, sans restrictions ni probabilités.

Les croyances religieuses sérieuses ne sont pas des connaissances parce qu’elles ne sont pas agrémentées de raisons épistémiques reconnues universellement. Elles sont pourtant garanties. Nous pouvons nous y fier du moment qu’il n’existe pas de raisons d’en douter. Le chrétien croit que Christ est ressuscité, il ne le sait pas.

Une croyance vraie et garantie concerne des êtres rationnels par nature à moins que leur appareil cognitif ne connaisse un dysfonctionnement pathologique. Le croyant n’attend pas un progrès de la connaissance pour croire ce qu’il croit. Le manque de raisons convaincantes ne peut pas nous faire mettre en veilleuse notre foi, car croire, c’est croire vrai, d’où les désaccords radicaux entre religions. Dans le christianisme, la source des vérités est Dieu, la Vérité elle-même. Les tièdes sont vomis. Il n’y a qu’une seule vraie foi; une religion n’est pas un menu sur une carte de restaurant.

Le professeur Pouivet pense que le pluralisme et le relativisme religieux ne valent rien et que, paradoxe apparent, la religion chrétienne, seule vraie, est mieux équipée que les autres pour manifester une certaine tolérance. Tous les curés, pasteurs et rabbins libéraux, et quelques imams choisis, réunis aux laïcs dans des assemblées dédiées à la promotion du vivre-ensemble, désapprouvent Pouivet, qui fait tache. Il ne faut pas non plus dissimuler le fait que son exclusivisme radical suscite aussi des objections de la part de ses collègues épistémologues de haut niveau, un désaccord amical il est vrai, mais Pouivet est tenace. Le croyant, imparfait et faillible, sait qu’il peut se tromper, mais il est fiable, quand l’exercice de certaines vertus intellectuelles acquises grâce à l’éducation garantit le sérieux de ses croyances. Pouivet en dresse la liste: impartialité, sobriété, courage, pertinence et équilibre.

Le fiabilisme professé par Pouivet s’oppose à la nécessité de justifier les croyances par l’évidence et de les fonder. Le métaphysicien insiste sur ce qu’il est bon de croire, moins sur ce qu’il est juste de croire; sur ce qu’il est bon d’être et non pas sur ce qu’il est juste de faire. Le croyant ne mettra certes pas KO ses adversaires en leur opposant des arguments implacablement démonstratifs, mais il a le devoir d’expliquer ses croyances, de défendre ses espérances avec douceur et crainte, comme il est dit dans 1 Pierre 3,15. Il n’est pas moins à présumer innocent que l’agnostique ou l’athée. Les arguments de ces derniers sont forts, notamment l’existence du mal, mais il existe des réponses à leur encontre.

Ouvrages de Pouivet:

Qu’est-ce que croire ? Vrin, 2006

Epistémologie des croyances religieuses, Cerf, 2013.

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