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Zoug: un miracle économique qui n’en est pas un

Jean-Hugues Busslinger
La Nation n° 2259 9 août 2024

Les chiffres de la péréquation financière fédérale, parus récemment, ont attiré l’attention sur quelques Cantons et, parmi ceux-ci, sur le Canton de Zoug. Celui-ci occupe en effet le premier rang des Cantons contributeurs (c’est loin d’être une majorité), devant Zurich ou Genève: il versera en 2025 une contribution de 431 millions de francs, contre 419 millions pour Zurich ou 253 millions pour Genève. Comment une collectivité cantonale dont la population est somme toute modeste – le Canton compte 132’443 habitants à fin mars 2024 – peut-elle verser à la péréquation plus que des collectivités nettement plus nombreuses?

On rappellera que la péréquation fédérale se fonde essentiellement sur le potentiel fiscal des Cantons, ce qui donne un reflet assez exact de la richesse des diverses collectivités. Elle agrège en effet le total des revenus des personnes physiques (y compris celles imposées à la source), de la fortune des personnes physiques et des bénéfices des personnes morales.

Un Canton riche mais fiscalement peu gourmand

Petit par la taille et le nombre d’habitants, Zoug est au contraire économiquement fort. Le PIB par habitant est le plus important de Suisse avec 174’570 francs en 2021 (dernier chiffres parus). A titre de comparaison, Zurich atteint 97’846 francs et Vaud 76’834 francs. Globalement, le PIB zougois représente le 36% du PIB vaudois pour un nombre d’habitants six fois inférieur. Mais ce Canton se caractérise aussi par le poids très modéré de sa fiscalité (voir encadré), qu’il s’agisse de celle relative aux personnes physiques ou morales.

On pourrait limiter l’analyse au simple volet fiscal et considérer que la recette du succès zougois réside pour l’essentiel, voire exclusivement, dans la modération de sa fiscalité. Ce serait cependant tronquer la réalité. Une récente publication, fort bien documentée, permet de s’en convaincre1. Le développement du Canton de Zoug, qu’on peut qualifier à juste titre d’exceptionnel, résulte certes de conditions de départ favorables, parmi lesquelles une situation au cœur de la Suisse proche tant de Zurich que de Lucerne, ainsi que des conditions économiques d’après-guerre (les fameuses trente glorieuses). Mais elle est surtout le fruit de l’exploitation concertée de ces avantages, par la mise en œuvre d’une politique économique et fiscale développée sur le long terme et misant sur la stabilité.

A l’origine Canton essentiellement agricole, Zoug a suivi jusque jusqu’aux années 1960 l’évolution des autres Cantons industriels, la part de ce segment économique atteignant 56% des emplois en 1960. Puis, les emplois industriels ont sensiblement diminué, en parallèle avec l’essor très important des services. Durant le demi-siècle de l’après-guerre, les responsables politiques cantonaux ont particulièrement cultivé les facteurs identifiés de son succès: un environnement naturel attractif, une proximité des centres de décision et des personnes-clés, due à la petite taille cantonale, mais aussi une accessibilité aisée, un haut niveau de qualification de la population, et des impôts bas. On le constate, le cocktail zougois ne diffère pas significativement de celui d’autres Cantons, mais il a le mérite d’avoir réussi alors que d’autres n’y sont pas parvenus.

Une pluralité de facteurs mis en œuvre de façon concertée

Parmi les éléments qui ont contribué à ce succès, on mentionnera pêle-mêle des services administratifs limités à l’essentiel, le développement d’outils spécifiques pour l’intégration des travailleurs étrangers et des collaborateurs expatriés d’entreprises multinationales, des collaborations recherchées avec la métropole zurichoise, notamment en matière d’innovation ou de tourisme, l’identification et le soutien aux progrès techniques et technologiques (pharma mais aussi blockchain ou cryptomonnaies) ou encore le renoncement conscient à des projets de prestige. Sur le plan fiscal, on relèvera que l’administration se considère bien plus comme un conseiller fiscal qu’un simple collecteur d’impôts, en ce sens qu’elle ne vise pas la maximisation des rentrées fiscales, mais cherche à obtenir un résultat équitable tant pour le contribuable que pour l’Etat. Une telle approche ne peut que contribuer à l’attractivité économique du Canton. On y ajoutera encore le souci pragmatique d’adoucir les conséquences négatives de l’attractivité cantonale, par exemple sur le plan du logement ou par le développement du filet social cantonal. Un autre élément retient l’attention, le recours accru aux solutions de partenariat public-privé: plus de 50 tâches étatiques ont été confiées à des sociétés ou des associations privées, qu’il s’agisse du développement touristique, de la gestion du chômage, de l’énergie ou des transports publics. Ces structures hors administration occupent plus de 1’000 collaborateurs contre 2’900 dans l’administration cantonale. Pour compléter le tableau, on mentionnera (mais peut-être ceci est-il conséquence de cela) que la population est très majoritairement favorable à l’économie et à son développement: depuis 1985, sur les quelque 40 votations populaires relatives à des sujets économiques, le peuple zougois s’est à 28 reprises prononcé plus favorablement en faveur de l’économie que la population suisse et, pour 10 d’entre elles, avec un différentiel supérieur à 8% des suffrages.

 

Les Vaudois pourraient-il s’en inspirer ?

Un tel résultat est-il transposable dans d’autres Cantons, Vaud par exemple? Probablement pas ou pas intégralement, ne serait-ce que du fait de la taille du territoire et de la population. Mais on admettra que certains éléments pourraient inspirer avantageusement notre Canton.

Cela tient autant de l’état d’esprit que de la volonté politique. En premier lieu, il s’agit d’identifier les atouts dont on dispose, et le Canton de Vaud n’en manque pas. Sur le plan du cadre de vie et des infrastructures, à l’exception de celles des transports, le Canton jouit de ressources importantes. Le cadre intellectuel est riche, avec les contributions appréciables des centres de recherche publics et privés ainsi que des hautes écoles. Nombre d’entreprises florissantes y trouvent la main-d’œuvre qualifiée dont elles ont besoin. Ces prémices encourageantes doivent conduire le monde politique, législatif et exécutif, à mettre en place une véritable politique visant autant la préservation de l’acquis que son développement. Cela passe par la recherche de circuits aussi courts que possible entre administration et chefs d’entreprises, cela passe aussi – et peut-être avant tout – par l’instauration d’une culture d’ouverture de l’administration aux réalités économiques. Cela doit enfin passer par la recherche des complémentarités entre administration et acteurs économiques. En ce sens, l’approche fiscale zougoise mériterait d’être adoptée, non seulement en intégrant des éléments de conseil aux contribuables, mais aussi dans la modération de ses taux. Les Cantons restent souverains dans de très nombreux domaines… puisse l’exemple zougois inspirer d’autres collectivités, à commencer par le Canton de Vaud.

Jean-Hugues Busslinger

  1. Boom Jahre, Wirtschaft und Wirtschaftspolitik im Kanton Zug 1985-2020, Gianni Bomio, (ancien secrétaire général de la Chambre de commerce zougoise), 384 p.,2022, Kaltmedien AG.

Les pratiques fiscales zougoises

Pour permettre la comparaison, l’importance de la pression fiscale exercée par les Cantons est un bon indicateur. Les chiffres ci-dessous ne tiennent pas compte de l’impôt fédéral direct. Pour les personnes physiques et en moyenne suisse, le taux d’exploitation du potentiel fiscal s’élève à 19,5%. Zoug est le Canton le moins gourmand et présente la charge la plus faible de Suisse avec un taux de 12%. A l’autre bout du classement, on trouve, sans surprise hélas, les Cantons de Vaud et Genève avec des charges de 25,6%. En d’autres termes, Zoug n’impose le revenu des personnes physiques qu’à 61% de la moyenne suisse alors que Vaud les pressure avec 131% de cette même moyenne, et les impôts sont moitié moins élevés à Zoug qu’à Lausanne. Le tableau est analogue pour les personnes morales. L’imposition moyenne des bénéfices en Suisse est de 9,5%; le Canton de Zoug impose à 2,8% et le Canton de Vaud à 5,6%. L’imposition zougoise est donc de 30% de la moyenne suisse, tandis que Vaud atteint 59%. Si sur ce plan le Canton de Vaud n’apparaît pas parmi les Cantons les plus gourmands (Valais et Tessin occupent les premières places), il impose cependant deux fois plus lourdement que l’Etat zougois.

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