Biodiversité
La lecture du texte de l’initiative dite «pour l’avenir de notre nature et de notre paysage (initiative biodiversité)», sur laquelle nous voterons le 22 septembre prochain, suscite une impression mitigée. La biodiversité est en danger, c’est un fait. Les poissons du lac se font rares. Par colonies entières, les abeilles meurent de maux mystérieux. Et ce ne sont pas les fleurs des balcons du quartier sous-gare qui sauveront l’hirondelle rustique. Le mérite de l’initiative est en outre de mettre la protection de la nature en lien avec celle du patrimoine.
Il faut toutefois se pencher sur son texte avec une attention d’entomologiste pour saisir tout le danger qu’il présente pour les libertés cantonales, creusets de notre biodiversité politique.
L’initiative propose d’ajouter un article 78a à la Constitution fédérale. De manière inhabituelle, il prétend explicitement apporter un «complément à l’art. 78». Selon son titre, ce dernier, déjà en vigueur, régit la «protection de la nature et du patrimoine». Il rappelle notamment que «la protection de la nature et du patrimoine est du ressort des cantons» (al. 1), sous réserve d’une compétence de protection de la faune et de la flore, accordée à la Confédération (al. 4). Elle fonde la déjà contestable loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage.
En bonne théorie, mentionner dans la Constitution fédérale que les Cantons étaient compétents était inutile, dès lors que tout ce qui n’y figure pas est par principe de compétence cantonale.
Il s’agissait d’une première emprise de la Confédération sur la souveraineté vaudoise en matière de protection de la nature et du patrimoine. Que la Constitution fédérale précise que la compétence appartenait (encore) aux Cantons rendait déjà cette liberté précaire. En la faisant exister comme compétence exerçable, le constituant créait le point de vue depuis lequel en critiquer l’exercice. Ce point de vue était fédéral. C’était donner un os à ronger aux écologistes centralisateurs.
En cas d’acceptation de l’initiative, la Constitution précisera les objets que les Cantons devront préserver: paysages, physionomie des localités, sites dignes de protection. Elle ira encore plus loin et imposera d’abord aux Cantons une obligation générale de résultat: «ménager la nature, le paysage et le patrimoine bâti en dehors des objets protégés»; ensuite une obligation de moyens: «mettre à disposition les surfaces, les ressources et les instruments nécessaires à la sauvegarde et au renforcement de la biodiversité».
Encadrée et définie par la Constitution, la responsabilité de protéger la nature glissera vers du fédéralisme d’exécution. Inéluctablement, une prochaine étape sera la concrétisation de ce nouveau cadre: soit dans une version élargie de la loi sur la protection de la nature, soit dans un paquet législatif. Nous verrions alors un nouveau Mantelerlass, cette fois «pour la biodiversité», sorti des tiroirs de l’administration fédérale. Il visera au moins l’harmonisation simultanée des lois sur l’agriculture et sur l’aménagement du territoire. Non sans créer de nouvelles règles de protection du patrimoine. Elles se situeront bien au-delà des mécanismes de protection actuellement déployés en faveur du grand-tétras ou de l’edelweiss.
En cas de OUI le 22 septembre, une autre nouveauté résidera dans la possibilité, pour Berne, de fixer «les objets protégés présentant un intérêt national». Les Cantons, de leur côté, recevraient l’obligation de définir les «objets protégés présentant un intérêt cantonal». Cette nouvelle obligation est aussi une nouvelle centralisation. Elle insulte les Cantons en occultant les efforts colossaux que certains déploient depuis plus d’un siècle, notamment en matière de patrimoine. On ne l’apprendra pas au Grand Conseil qui vient de passer des mois sur le PAC-Lavaux.
En parallèle, «l’essence de ce qui mérite d’être protégé» devra «être conservée intacte». Chose piquante, cette protection essentielle, devrait atténuer les conséquences de la récente adoption du Mantelerlass des lois sur l’électricité et l’énergie, et de la primauté qu’il a accordé à la construction d’infrastructures d’énergie verte. La possibilité de ce petit renversement de vapeur, mais surtout son calendrier pour le moins hasardeux, révèle l’inanité qu’il y a à vouloir imposer dans la loi les critères de futures pesées des intérêts. Il ne nous suffit pas à soutenir l’initiative.
Il est incohérent, voire mensonger, de prétendre enlever des compétences aux Cantons – ou leur imposer des obligations – pour protéger l’homme et son environnement. Cet environnement, s’il est indissociable de sa nature, l’est tout autant de l’histoire et des institutions qu’elle a façonnées. L’être humain, en permanence, trouve son point d’équilibre au croisement entre l’espace et le temps. Le passé a façonné les libertés vaudoises autant que notre nature. Notre avenir ne pourra pas se concevoir en séparant les deux. La seule écologie qui tienne est fédéraliste. Nous voterons NON à l’initiative sur la biodiversité.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Dénatalité – Jean-François Cavin
- Zoug: un miracle économique qui n’en est pas un – Jean-Hugues Busslinger
- Occident express 127 – David Laufer
- Universel vs particulier – Olivier Delacrétaz
- Droit de vote des étrangers: du pouvoir et de son exercice – Raphaël Franzi
- Orange ou bleu? – Jean-François Cavin
- Orange ou bleu? – Jean-François Cavin
- Harmonie – Jacques Perrin
- Cantonale à Givrins, vivre la vie en rose! – Sébastien Mercier
- Chronique sportive – Le Coin du Ronchon