Fusion ou… fission?
Le 22 septembre prochain, ce sont tous les Combiers qui sont appelés aux urnes afin de se prononcer sur la fusion des trois communes régionales. Ainsi l’Abbaye, le Lieu et le Chenit ne formeraient plus qu’une grande entité: la commune de la Vallée de Joux, qui deviendrait la plus grande commune vaudoise en superficie.
S’il semble que le camp du «oui» soit aujourd’hui suffisamment serein pour l’emporter au point de mener une campagne quasi inexistante, une question reste latente: pourquoi?
C’est à la suite du revers subi entre la fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015 (lorsque sept des neuf projets de fusion vaudois ont été refusés) que le Conseil d’Etat a décidé d’inciter les fusions en couvrant jusqu’à hauteur de moitié les frais d’étude1.
Au 1er janvier de cette année, pas moins de 2131 communes ont été recensées en Suisse, soit cinq de moins qu’en 2023 et 162 de moins qu’il y a dix ans2. Dans le Canton, ce sont 300 communes qui sont recensées, pour 383 en 20033. Le pari du Conseil d’Etat semble donc porter ses fruits.
Philosophiquement, la fusion de plusieurs communes est justifiée par le fait que les décisions étatiques se devraient d’être le plus décentralisées possibles et prises à proximité des principaux concernés. Or, les petites communes, dont la superficie et les moyens ne permettent pas de prises de décisions efficaces et autonomes, se retrouvent par la force des choses à transférer leurs compétences, impliquant de facto un déni de démocratie des habitants dont les intérêts ne sont plus gérés localement4.
On ne peut qu’acquiescer à ce constat…dont l’inverse est vrai aussi. Et c’est précisément pour cela que la Vallée de Joux est un exemple particulièrement intéressant, dans la mesure où aucune des trois communes ne manque ni de temps, ni de personnel, ni de moyens ou de compétences5 qui justifieraient de s’allier pour survivre. Dès lors, cette centralisation, bien que mesurée, ne va-t-elle pas à l’encontre du principe même qui voudrait qu’une commune, autonome et économiquement viable, puisse exister pour le bien et dans l’intimité de sa population?
Si ces trois communes sont économiquement viables, ce n’est sans doute pas le cas de tous les habitants de la région, dont les revenus dépendent principalement du secteur de l’horlogerie, qui connaît dernièrement une baisse de régime soudaine. Partant, l’un des arguments phares des partisans de la fusion reste la réduction des coûts communaux et une fiscalité plus avantageuse. Force est de constater que sur ces points-là aussi, personne ne sait réellement où il met les pieds. Les études qui ont été réalisées sur le sujet vont d’ailleurs dans le sens opposé. Bien qu’un regroupement des services et la suppression de doublons soient censés améliorer la santé économique d’une commune qui a fusionné, il semble que les acteurs de la nouvelle entité fraîchement créée peinent à décider quelles administrations garder et dans quel budget couper, au point qu’une augmentation et non pas une réduction des coûts est souvent observée en cas de fusion6.
En termes d’imposition, le nouveau coefficient communal a été arrêté à 66,5%. Ce sont les habitants de la commune de l’Abbaye qui seraient les grands gagnants de l’opération, voyant leur coefficient d’impôt communal baisser d’une dizaine de pourcents si l’on tient compte de la moyenne des dernières années. Les habitants des communes du Lieu et du Chenit quant à eux verraient leur coefficient baisser respectivement d’un et de deux pourcents et demi7. Pour prendre un exemple pratique, un couple de retraités sur la commune de l’Abbaye vivant des prestations sociales usuelles économiserait donc un peu moins de quatre cents francs par année8.
Ces maigres et hypothétiques économies ne peuvent justifier l’éloignement des citoyens de leurs élus, ni la perte d’identité et des singularités liées à chaque commune et village.
S’il est vrai qu’un Combier se sent Combier avant de se sentir Baillet ou Traîne-Sachet, il n’en demeure pas moins que chaque habitant de cette belle Vallée est attaché à sa commune d’origine, et qu’il sait que la mentalité d’un bout à l’autre du lac n’est pas la même. Ce n’est pas un Pontounais comme moi qui vous dira le contraire.
Notes:
1 Aide-mémoire sur les fusions de communes pour les autorités communales vaudoises du 16.04.24
2 Chiffres de l’Association des Communes Suisses, https://www.chgemeinden.ch
3 https://www.vd.ch
4 Rühli Lukas, Encore 2294 communes en Suisse, in: https://www.avenir-suisse.ch
5 Rapport COMPAS sur la fusion des communes de l’Abbaye, du Chenit et du Lieu, p. 19ss.
6 Richard Alexandra, Les fusions de communes ne génèrent pas vraiment d’économie, in: https://www.rts.ch
7 Rapport COMPAS sur la fusion des communes de l’Abbaye, du Chenit et du Lieu, tableau 2-10, p. 20.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Université pour tous – Editorial, Félicien Monnier
- La Suisse, Etat social – Jean-François Cavin
- Le volume XIII de l’Encyclopédie vaudoise – Daniel Laufer
- Ça bouchonne à Bruxelles – Jean-François Cavin
- Trois façons de décider en assemblée – Olivier Delacrétaz
- LPP: réformer n’est pas dénaturer – Jean-Hugues Busslinger
- Encore des mercredis – Benjamin Ansermet
- Nous avons les conséquences – Jacques Perrin
- Echos vaudois des JO de Paris 2024 – Antoine Rochat
- De la matouphobie au félinicide – Le Coin du Ronchon