Ça bouchonne à Bruxelles
J’ai d’abord pensé que j’étais malhabile; les gens modestes commencent toujours, quand quelque chose ne va pas, par s’accuser eux-mêmes. Là, c’était le bouchon de la bouteille en polyéthylène téréphtalate (PET) de mon jus d’orange qui ne se détachait pas du goulot, si bien que j’avais un peu de peine à verser le liquide. A la deuxième bouteille, je me suis dit que la machine du fabricant était peut-être déréglée; les choses allaient sans doute s’arranger. A la troisième bouteille, pas de progrès. Pire: une bouteille d’eau minérale, en PET aussi, souffrait du même vice (si l’on peut dire à propos de vis). La bataille continuait.
C’est alors qu’une amie, riche d’affinités outre-Sarine, m’a rendu attentif à un article du Beobachter. Ce confrère, observateur avisé de la vie publique, révélait que la fermeture des bouteilles en PET faisait l’objet d’une mesure impérative de l’Union européenne depuis le 1er juillet 2024: les bouchons doivent rester attachés au flacon. Et la décision semble atteindre la Suisse par contagion. Il s’agirait de protéger l’environnement. Personne, à vrai dire, n’a jamais déterminé quelle part de la marée de plastique ces petites choses représentent; probablement trois fois rien, d’autant plus que pour rendre les bouteilles, il est bon de les écraser pour en réduire le volume, et donc de les reboucher après en avoir expulsé l’air. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que l’injonction européenne a coûté des millions aux fabricants de bouteilles, contraints d’acheter et de mettre au point de nouvelles machines. Est-ce ainsi qu’on promeut la compétitivité de l’industrie continentale?
Le plus clair de cette affaire, c’est qu’elle complique ma gentille vie ménagère, surtout quand il s’agit de reboucher le flacon. Accessoirement, on peut philosopher sur les bureaux de Bruxelles. Il s’y est donc trouvé un technocrate désœuvré effleuré subitement par une petite idée; il l’a habillée d’un vernis écologique à la mode; toute la hiérarchie a acquiescé, les plus rétifs n’osant pas aller à contre-courant; les offices juridiques ont mis la prescription en forme; les services linguistiques en ont assuré la traduction dans les innombrables langues de l’Union; et quand la chose est venue devant la Commission, tout était déjà si bien ficelé qu’il n’y avait plus qu’à entériner l’ukase. Comme l’UE est impuissante devant les grands problèmes de l’heure, les guerres, les migrations, le terrorisme, les déficits publics, il faut bien s’occuper.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Université pour tous – Editorial, Félicien Monnier
- La Suisse, Etat social – Jean-François Cavin
- Fusion ou… fission? – Evan Lumignon
- Le volume XIII de l’Encyclopédie vaudoise – Daniel Laufer
- Trois façons de décider en assemblée – Olivier Delacrétaz
- LPP: réformer n’est pas dénaturer – Jean-Hugues Busslinger
- Encore des mercredis – Benjamin Ansermet
- Nous avons les conséquences – Jacques Perrin
- Echos vaudois des JO de Paris 2024 – Antoine Rochat
- De la matouphobie au félinicide – Le Coin du Ronchon