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La Guerre du Haut Pays

Edouard Hediger
La Nation n° 2273 21 février 2025

Nous avons demandé à notre ami Edouard Hediger, historien de la Société vaudoise des officiers, un résumé du discours qu’il a prononcé à l’occasion de la cérémonie de l’Indépendance vaudoise organisée par la Société vaudoise des officiers

Sous prétexte de l'incident de Thierrens du 25 janvier 1798, les troupes françaises entrent en Pays de Vaud pour soutenir la révolution proclamée la veille sur la place de la Palud et avec le dessein de marcher sur Berne, d'y renverser le gouvernement et d'établir en Suisse un régime révolutionnaire. «Le ridicule empire bernois doit s'écrouler», disait le général Brune dans sa proclamation.

Ce n'est pourtant qu'à la fin de février, après la convocation des milices vaudoises, que les Français disposent d’assez de troupes pour prendre Berne, Morat et Fribourg. Il faut dire que les Vaudois mirent peu d'empressement à répondre à l'appel. Ils viennent d’être frappés d'un lourd impôt de guerre et le bruit court qu'après avoir servi contre Berne, ils seraient envoyés contre l'Angleterre. Dans une lettre du 17 février, Brune exprime sa déception: «Je croyais tous les Vaudois en armes, et j'ai toutes les peines à organiser 4000 hommes.»

II était pourtant prévenu. Quelques jours auparavant, l’ambassadeur français en Suisse lui écrit: «La lance du Mars vaudois n'a pas le don des miracles.» Aussi, pour stimuler le recrutement, les proclamations enthousiastes ne suffisent pas. On menace que si dans les vingt-quatre heures tous les hommes que les communes doivent fournir pour leurs contingents ne se sont pas présentés à leur poste, leurs biens seront séquestrés et mis à la disposition de la nation vaudoise. Tant bien que mal, on réunit à peu près les 4000 hommes nécessaires et, début mars, les Français marchent sur Berne où la République tente de se défendre le 5 mars, avec un succès tactique important à Neuenegg, rendu inutile par la défaite stratégique du Grauholz qui précipite la chute de l’ancien régime le même jour.

Si ces deux batailles ont fait date, une autre un peu oubliée a eu lieu dans les marches du pays. A l'extrême sud du Canton, le colonel de Tscharner, gouverneur d'Aigle, reçoit pour mission de garder le Pays d'Enhaut et les Ormonts avec 1500 hommes pour permettre de prendre les Français à revers par le Chablais et la Riviera. Celui-ci se trouvait dans un état d'infériorité numérique manifeste, mais il avait pour lui, un terrain favorable, et la neige abondante qui rendait les chemins presque impraticables pour un adversaire montant de la plaine. Il avait aussi les sympathies de la plus grande partie de la population.

Il faut dire qu’aux confins des territoires bernois, les Ormonans ont toujours joui d’une grande liberté, loin des regards de Leurs Excellences. Mais ils n’ont pas pour autant été oubliés. Consciente de l’importance de pacifier un passage obligé reliant ses territoires, Berne s’est attaché à choyer les Ormonans en les affranchissant, par exemple, des droits de dîme. Considérant que le gouvernement bernois n'avait pas démérité dans l'administration du pays et voyant les idées révolutionnaires avec la plus grande suspicion, les Ormonans s’allient donc volontiers aux troupes bernoises.

Mais le plan de Tscharner est éventé et les ordres interceptés par l’ennemi. Le général Brune envoie la troupe à Aigle, avec une brigade d'infanterie française et des bataillons vaudois, dans le dessein contraire, celui d'occuper les Ormonts, de franchir le col du Pillon et de descendre en pays bernois par l’Oberland. Le 4 mars, une colonne monte en direction du Sépey, une autre doit attaquer du côté des Diablerets, en passant par Gryon et le col de la Croix.

C’est cette seconde colonne que commande Gabriel Forneret, un Suisse de Romainmôtier, officier de carrière, engagé d’abord en Hollande puis au service de la Sardaigne avant d’être nommé lieutenant-colonel dans l’armée d’Helvétie. Le jeune officier, neveu du premier président de l’assemblée provisoire de la République lémanique, est la personne toute trouvée pour commander le bataillon de 1700 Français, Vaudois et Valaisans composé pour l’occasion.

La colonne part de Bex en début d’après-midi, atteint Gryon encore enneigé, puis entame l’ascension du col de la Croix dans la haute neige et l’obscurité. La montée est difficile. Un des guides se trompe de chemin et finit lynché par la troupe. Des hommes meurent de froid et d’épuisement. La troupe bivouaque au milieu de la nuit à l’alpage de Taveyanne, en brûlant une partie des chalets pour faire du feu.

Le 5 mars, la colonne franchit le col de la Croix vers 6h du matin alors qu’il fait encore nuit, elle s’engage entre les congères dans la descente en direction des Diablerets. Quelques centaines de mètres en dessous du col, au chalet de Tréchadèze, une centaine d’Ormonans auxquels s’est jointe une compagnie de carabiniers bernois sont retranchés derrière un rempart de sapins abattus. Ils canardent les soldats de Forneret qui, incapables de se déployer à leur avantage dans la forêt, tentent de riposter à la baïonnette dans la haute neige. Après trois heures de combat, Forneret est grièvement blessé par une balle. La troupe décapitée et dispersée décide de se replier, ce qu’elle fera péniblement sous le feu des Ormonans et des Bernois.

Forneret est transporté sur une civière par ses hommes pendant plusieurs heures, jusqu’à la cure de Gryon. Il y décède le lendemain dans la matinée et son corps est descendu à Bex ou il sera enterré avec les honneurs républicains au pied de l’arbre de la liberté. Le régiment Forneret a perdu 400 tués et 300 blessés dont beaucoup meurent de froid pendant la nuit qui suit.

Malheureusement, l’euphorie de la victoire des Ormonans sur le bataillon Forneret est de courte durée: face aux effectifs des troupes françaises de la première colonne venue depuis Aigle, la troupe de 700 hommes commandée par le gouverneur Tscharner ne fait pas le poids lors des combats au Sépey et malgré la résistance courageuse d’Ormonans bien retranchés à la Forclaz. Ils doivent capituler sous la menace d’un incendie général allumé par les Français.

Informé de la situation autour de la capitale, convaincu qu’il ne recevra pas l’aide qu’il demande et malgré les plaintes des carabiniers du Simmental qui l’accusent de trahison, Tscharner évacue ses troupes dans le désordre par le col des Mosses. Les Ormonts capitulent, le 5 mars, au moment même où l’ancien régime vit ses dernières heures.

Les Français exigent le désarmement complet et immédiat des Ormonts. Aux habitants, le général Chastel écrit:

«Citoyens, Un Monstre [Le gouverneur Tscharner] est parvenu à vous armer contre la République française en nous représentant comme des Brigands échappés de la France et accourus en Helvétie pour y porter la mort, le pillage, le vol et l'incendie. […] Ce Brigand a eu la cruelle jouissance de vous précipiter dans un abîme épouvantable. Conduits par ce Bourgeois de Berne, vous êtes devenus les ennemis des braves qui voulaient briser vos chaines et garantir votre indépendance. Vous avez assassiné des militaires dont il n'est pas un seul qui n'ait versé des larmes amères en répandant le sang des Suisses armés pour la cause de l'Oligarchie. Oui! n'en doutez pas un seul instant, nous n'avons jamais vu en vous que des enfants égarés, que des Républicains doivent chérir par respect pour la mémoire de Guillaume Tell. […] Mais il demeure parmi vous quelques insensés qui entretiennent votre haine contre nous. C'est par une entière soumission que vous pouvez obtenir de la toute-puissante Nation française l'oubli généreux de vos torts. Si l'on oppose la moindre résistance à l'exécution du présent ordre, les Instigateurs et tous ceux qui auront pris les armes seront punis de mort.»

Si la bataille des Ormonts n’a pas fait date dans les livres d’histoire, elle a profondément déchiré une vallée où des pères ont tiré sur leurs enfants, à l’image du capitaine Pittet, commandant de la milice ormonanche et de ses deux fils enrôlés malgré eux dans les rangs des Lémaniques.

Des morts ormonans nous n’avons malheureusement plus de trace, les registres paroissiaux ayant été brûlés en 1866. Si contrairement à Neuenegg ou au Grauholz, aucun obélisque en granite n’a été élevé en leur mémoire, Charles-Ferdinand Ramuz leur a écrit un monument littéraire en 1915: La guerre dans le Haut-Pays. Il y dépeint une vallée tiraillée par les idées nouvelles qui dérangent les tenants de la tradition et surtout l'idylle amoureuse entre Félicie, la fille du modéré Jean Bonzon, et David, le fils du réactionnaire Josias-Emmanuel Aviolat. Le roman sera adapté en 1999 par Francis Reusser et sélectionné aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Marion Cotillard y incarne la jeune Félicie.

Nous voulons croire la Révolution vaudoise spontanée et festive sur la place de la Palud mais n’oublions pas que certains Vaudois en ont vécu les excès dans leur chair et dans leur 

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