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Gens du squat et gens du voyage

Jean-François Cavin
La Nation n° 1963 22 mars 2013

Le 23 février, 24 heures relayait les plaintes de la propriétaire d’une maison sise à Grandvaux, reçue en héritage et provisoirement inutilisée par l’ayant-droit en attendant des transformations; mais pas inoccupée pour autant, car des squatters s’en sont emparés, ont réclamé la régularisation de leur acte illicite en attendant les travaux et ont changé les serrures pour ne pas être importunés par la propriétaire! La police reste sourde aux appels de celle-ci, à défaut d’un jugement d’évacuation exécutoire rendu par le juge civil; ce qui exige du lésé qu’il ouvre action, avance les frais de justice (24 heures parle de 5000 francs), attende l’audience et peut-être la fin des recours; cependant que les squatters se la coulent douce sans rien débourser et à l’abri de toute remise à l’ordre. La propriétaire s’en indigne. Interrogé par un journaliste, le procureur général déclare que si ces actes, contraires au droit, sont bien sûr détestables […], relativement à d’autres comportements délictueux, il faut, sous un angle plus général, admettre que l’on reste dans le «bas de gamme» en matière de gravité.

Trois jours plus tard, l’autorité cantonale publiait d’énergiques directives de la judoka qui est à la tête du département de la Sécurité, visant les campements illégaux des gens du voyage. On y découvre notamment que la police peut démanteler les campements et chasser leurs occupants sur simple ordre du préfet, sans passer par la justice civile; cela sans oublier les amendes, dont les forces de l’ordre pourront exiger séance tenante la garantie financière du paiement. Occupation illicite d’un terrain? Pas de ça! Expulsion immédiate! Et que ça barde!

On ne peut qu’être frappé par la différence de traitement de deux situations pourtant semblables. Les députés Guy- Philippe Bolay et François Brélaz sont d’ailleurs intervenus au Grand Conseil à ce sujet, et le Conseil d’Etat s’en expliquera dans quelque temps. Pour l’heure, formulons quelques remarques à ce propos.

Le procureur général est fondé à dire que le squat est une infraction de petite importance en regard du droit positif, puisqu’elle n’est poursuivie que sur plainte; le législateur, en son temps, a estimé que l’atteinte à l’ordre public n’était pas d’une grande gravité; en son temps, c’est-à-dire à une époque où le squat n’était pas à la mode; les choses sont différentes aujourd’hui. Il ne faudrait d’ailleurs pas déduire de l’option du législateur que cette violation du droit de propriété est anodine du point de vue moral. Bien au contraire, ceux qui envahissent sciemment un immeuble qui ne leur appartient pas et s’en attribuent froidement l’usage font preuve d’un culot et d’un mépris d’autrui incroyables. Et comme ils avancent de prétendues justifications socio-économiques dans un cas (le scandale des logements inoccupés) ou ethniques dans l’autre (les antiques traditions du nomadisme), comme donc ces fauteurs de trouble se targuent d’une sorte de légitimité supérieure, toute faiblesse de l’autorité publique ne peut que favoriser la multiplication de ces invasions effrontées. A propos des gens du voyage, d’ailleurs, n’allons pas croire qu’il s’agit de tribus naïves sorties tout droit d’un passé de légende aux confins orientaux du continent et ignorantes des règles du registre foncier; gageons au contraire que ces nomades à Mercedes, le plus souvent des Français, connaissent fort bien nos lois. Quant aux gentils squatters qui réclament des contrats de confiance après avoir abusé de la confiance de ceux qu’ils mettent vilainement sous la pression du fait accompli, ce sont de paresseux post-soixante-huitards jugeant confortable de ne pas travailler pour gagner le prix d’un loyer.

Reste que la différence de traitement entre le cas du squat, dont on ne se dépêtre pas, et celui du campement sauvage de Romanichels, désormais expulsés rapidement, n’est pas justifiable. Faut-il appliquer au premier la méthode expéditive prévue pour le second? Les bases légales de la directive sur les gens du voyage sont multiples (peut-être trop…). On y trouve notamment référence à la loi sur le camping et le caravaning, qui sanctionne le camping sauvage comme une contravention; mais cela ne dit rien sur la cessation du trouble civil. La loi sur les préfets est aussi invoquée, par la citation d’une clause générale sur le maintien de l’ordre public et des compétences spéciales du préfet en cas de «risques et dangers particuliers, situations extraordinaires, état de nécessité»; on peut douter que ce soit le cas lors de l’installation d’une caravane de nomades; et si oui, pourquoi pas lors d’un squat? Et que se passera-t-il si, dans une même propriété, un collectif indigène occupe le logement cependant qu’une tribu de Roms occupe le pré attenant?

Juridiquement, le problème n’est peut-être pas simple, à l’intersection du droit fédéral et du droit cantonal, du droit pénal et du droit civil. Mais sur le fond, sommairement dit, l’affaire est claire: face au squat, le droit actuel ne suffit pas.

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