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Le loup et l’ours, auxiliaires de l’écologie profonde

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 1963 22 mars 2013

Le loup, absent de Suisse depuis 1947, réapparaît pour la première fois en 1995 dans le Val Ferret. Le 19 décembre 1996, un laboratoire atteste la présence d’au moins deux loups en Valais, qui ont déjà tué plus d’une centaine de moutons. Le lendemain, Pro Natura «exige» des autorités compétentes qu’elles mettent en application «sans tarder» la protection «stricte» conférée à ce prédateur par la Convention de Berne du 19 septembre 1979, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juin 1982. Pro Natura considère cette tâche comme une «nécessité absolue» (Protection de la nature, no 9/1997).

Il faut d’emblée s’interroger sur les arrière-pensées de ceux qui, envers et contre tout, veulent réintroduire en Suisse ce grand carnassier. Dans le magazine de l’OFEFP Environnement (no 1/2000), Markus Thommen nous donne un début de réponse: «L’homme et les activités humaines ne sont pas indispensables au fonctionnement de la nature. Protéger la nature, cela peut et devrait aussi signifier: ne rien faire, l’abandonner à sa propre évolution, lui donner plus de place et de temps. […] Le recul de l’agriculture fait partie de cette dynamique. […] Les surfaces à entretenir coûtent cher. […] une protection bon marché et facile à appliquer consiste simplement à accepter la nature sauvage.»  Depuis la parution de ce morceau d’anthologie, la «pensée sauvage» a incontestablement fait des progrès.

La «Convention internationale relative à la conservation de la faune sauvage et du milieu naturel de l’Europe» – le compte rendu des débats au Conseil national en témoigne – a été adoptée à la sauvette, en moins d’un quart d’heure! Circonstance aggravante, aucune réserve n’a été formulée par des représentants du peuple qui, en l’occurrence, n’ont tout simplement pas fait leur travail. Onze autres pays signataires ayant des loups sur leur territoire avaient pris cette précaution élémentaire. Le fait que la Suisse n’en comptait encore aucun à ce moment-là ne saurait constituer une excuse.

Le «Concept Loup Suisse» qui en est résulté le 21 juillet 2004, élaboré par le seul Office fédéral de l’environnement, porte la signature de son directeur Philippe Roch, ancien dirigeant du WWF. Cette très grande proximité entre le lobby environnementaliste et les bureaux fédéraux aurait aussi dû susciter quelques questions. Rebaptisé «Plan loup» en mars 2008, le funeste Konzept constitue un véritable non-sens biologique et politique, même si de nouvelles règles ont été introduites en mai 2010 pour le financement des mesures de protection des troupeaux.

Au nom de la sauvegarde de la biodiversité, il prétend protéger «strictement» un animal dont l’espèce serait «menacée d’extinction» ou «en voie d’extinction». Il n’y a rien de plus faux: le loup ne figure pas à l’inventaire des espèces menacées ou en danger de l’union internationale pour la conservation de la nature; sa population est qualifiée de «stable». On peut même affirmer aujourd’hui qu’elle est en forte expansion en France et en Russie, ainsi que dans plusieurs pays d’Europe de l’Est et du Caucase. Ces pays peuvent offrir au loup l’espace vital dont il a besoin: entre 50 et 375 km2, soit un territoire moyen de quelque 170 km2. Chez nos voisins français, on estime que la «capacité d’accueil sociétale» du loup est déjà largement atteinte. Que dire alors de la Suisse, où les espaces réservés à la nature sauvage sont beaucoup plus restreints du fait du tourisme et de l’agriculture de montagne?

On évalue actuellement la population de loups en Suisse entre quinze et vingt individus, avec au moins une meute de quatre à six individus dans les Grisons. Parmi eux, combien de loups d’élevage (ou semi-sauvages) en provenance du Parc national des Abruzzes? Ces animaux élevés en Italie ne peuvent franchir seuls les zones industrielles et autoroutières du nord de la Péninsule; ils ont manifestement été «transportés» dans les Alpes. On aurait même observé, en Gruyère, un cas d’héliportage qui devrait faire l’objet d’une décision judiciaire.

L’autorisation de tir n’est envisageable que si vingt-cinq animaux de rente ont été tués en l’espace d’un mois ou trente-cinq bêtes en une saison. A combien se chiffrent les victimes du loup et de ces règles imbéciles? Entre 2004 et 2009, le grand carnassier aurait dévoré ou massacré en moyenne cent trente animaux de rente par an; mais au cours de la seule année 2011, il en aurait tué plus de deux cent cinquante.

Cette politique d’accueil du canis lupus a aussi un coût: à la mise en place de mesures protectrices des troupeaux (souvent inefficaces) et au dédommagement partiel des éleveurs (de l’ordre de 80%) s’ajoutent les frais exorbitants de monitorage et de suivi scientifique. Sait-on, par exemple, que l’établissement de la carte génétique des loups qui entrent en Suisse – les caryotypes – coûte à lui seul plus de 80000 francs par an? Mais à quoi servent ces analyses si les animaux détenus dans les parcs à loups et autres lieux de détention à l’étranger ne sont pas tous eux-mêmes caryotypés pour pouvoir être comparés aux loups identifiés en Suisse

Catastrophique pour les animaux de rente et pour les cervidés, la réintroduction du loup, avec la formation de meutes, constitue aussi un danger pour l’homme. L’historien Jean-Marie Moriceau a recensé plusieurs milliers d’attaques au cours des siècles passés (Histoire du méchant loup, Fayard, 2007); encore n’a-t-il pu en identifier qu’une très petite partie du total. Même si le risque, statistiquement, demeure marginal à l’échelle d’un pays, il n’en reste pas moins préoccupant à l’échelle d’une région. Des attaques enregistrées en Amérique du nord et en Russie le prouvent éloquemment.

Le Valaisan Jean-René Fournier a bien tenté, par une motion déposée le 19 mars 2010 au Conseil des Etats et approuvée peu après par le Parlement, d’obtenir la révision de l’article 22 de la Convention de Berne, lequel empêche toute adaptation des engagements pris au moment de la signature. Le sénateur, dans sa motion, relève expressément que «le loup n’est plus une espèce en voie de disparition»; et de proposer un amendement qui permette à chaque pays signataire de formuler des réserves «si les paramètres ont changé depuis la signature de l’accord». Le 11 novembre 2011, le Conseil fédéral a chargé le DETEC – autrement dit le département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication – de transmettre la proposition de modification de la Convention de Berne au secrétaire général du Conseil de l’Europe. Un an plus tard, on apprend que lors d’une séance tenue à fin novembre 2012, le Comité permanent de la Convention de Berne, à Bruxelles, rejette la proposition helvétique. Prétexte invoqué: «L’article 9 de la Convention de Berne offre déjà suffisamment de possibilités de résoudre les conflits, même dans un pays comme la Suisse qui, au moment de la ratification de la Convention, n’a pas exprimé de réserve à l’encontre du statut de protection du loup.» Et vlan! L’absence de réserve émise lors de la ratification revient comme un boomerang dans la figure d’une classe politique qui, au seuil des années huitante, n’a rien vu venir. Mais pourquoi les gardiens européens de la Révolution lupine s’abstiennent-ils, dans leur réponse, de faire la moindre allusion à la stabilité, voire à l’expansion du canis lupus en Europe? Et pourquoi une Convention censée s’occuper de la faune sauvage protège-t-elle strictement des animaux d’élevage, semi-sauvages?

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