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Suivez le guide - Au Portail peint avec des Rwandais

Ernest Jomini
La Nation n° 1971 12 juillet 2013

C’était au Moyen Age la grande entrée de la Cathédrale. Les pèlerins qui venaient nombreux vénérer Notre-Dame de Lausanne se voyaient accueillis par cet ensemble magnifique de statues. Elles étaient peintes; comme le reste de la Cathédrale, elles ont été recouvertes de peinture grise après la Réforme, peinture qui les a peut-être protégées à travers les siècles. Il y a quelques années, les restaurateurs ont gratté cette peinture grise et se sont efforcés de retrouver, là où cela était possible, la peinture d’origine. Pour mieux préserver les statues du vent, de la pluie et de la pollution, une série de vitres a été placée qui ferme entièrement le Portail. Il faut donc passer par l’intérieur de la Cathédrale pour y accéder.

Nous gardons particulièrement en mémoire une visite du Portail peint avec des notables du Rwanda. Soucieuse d’œuvrer pour la paix, la Confédération avait décidé il y a quelques années d’inviter pour quelques jours en Suisse une quarantaine de notables Hutus et Tutsis, après l’horrible guerre à laquelle s’étaient livrées ces deux ethnies. Ma collègue-guide et moi avions reçu pour consigne: «Surtout n’intervenez pas au moment où vous formez deux groupes pour la visite, laissez ces messieurs décider eux-mêmes avec qui ils veulent se trouver.»

Nous voici donc au Portail peint avec une vingtaine de notables africains et nous commençons notre présentation: au centre, un ange accueillait les pèlerins. A gauche, six personnages antérieurs au Christ: Esaïe, David, Jérémie, Moïse, Jean-Baptiste et le vieillard Siméon portant dans ses bras l’Enfant Jésus qui s’agrippe à sa barbe. Le visage coloré de Siméon est empreint de sérénité: «Maintenant, Seigneur, Tu laisses Ton serviteur s’en aller en paix… Car mes yeux ont vu Ton salut.» Tous à leur manière, annonçant l’incarnation du Fils de Dieu, ont déclaré: «Il viendra.» Par contre, à droite, saint Pierre, saint Paul et les quatre apôtres et évangélistes proclament: «Il est venu.»

Regardons plus haut: à gauche, la Vierge Marie, arrivée au terme de sa vie terrestre, est déposée pieusement dans un tombeau par les douze apôtres. Et à droite, la même Marie ressort immédiatement du tombeau sans avoir connu la corruption de la mort et revêtue d’un corps glorieux. Douze anges l’accueillent dans cette vie nouvelle et éternelle. C’est donc l’événement de l’Assomption – les chrétiens d’Orient disent la Dormition – qui est présenté ici aux fidèles, annonce de la vie éternelle et du corps glorieux promis à tous ceux qui auront suivi fidèlement le Christ.

Elevons nos regards encore plus haut: le Christ Roi dans la mandorle est assis sur son trône. A droite, un ange lui tend une couronne que le Seigneur va prendre et poser sur la tête de sa Mère debout à gauche sur un tertre représentant la terre, car Marie est une créature humaine et non une déesse. Elle va recevoir la couronne de gloire, récompense de sa fidélité parfaite au Seigneur. Annonce de la couronne qui sera remise au dernier jour à tous ceux qui auront persévéré dans le combat de la foi.

Et au-dessus, dans les voussures, une foule de petits personnages avec leurs attributs permettant de les identifier: ce sont les saintes et les saints qui ont donné leur vie pour le Christ et qui se réjouissent de l’Assomption et du couronnement de sa Mère.

Enfin, regardons à nouveau vers le bas: en dessous des prophètes et apôtres, il y a une série de personnages inquiétants, grimaçants, et d’animaux monstrueux: ce sont les puissances du Mal. Le Christ est venu, et pourtant ces puissances diaboliques sont toujours à l’œuvre. Mais les apôtres et prophètes ont les pieds sur elles, par la foi ils les ont déjà vaincues. Les chrétiens du Moyen Age ne savaient pas lire, mais ils savaient regarder les images: dès leur entrée dans la Cathédrale, ils avaient devant les yeux un résumé de tout l’Évangile.

Les Rwandais nous ont écouté attentivement. Mais l’un d’eux intervient alors pour exprimer sa stupéfaction: «Comment? L’Assomption de Marie représentée ici, alors que vous nous avez dit que la Cathédrale est un temple protestant! Je suis un des évêques catholiques du Rwanda.

Je n’aurais jamais pu imaginer que des protestants tolèrent ici une telle représentation.»

«– Je comprends votre surprise, Monseigneur, mais le fait est que les Réformateurs, qui n’acceptaient pas qu’on adresse des prières à la Vierge, acceptaient le rôle éminent de Marie tel qu’il est décrit dans les Évangiles. Ainsi la fête de l’Annonciation fut célébrée officiellement au Pays de Vaud pendant toute la période bernoise et jusqu’en 1863.»

Nous avons appris ultérieurement que Zwingli, à Zurich, avait maintenu la fête de l’Assomption. La Réforme bernoise ayant été inspirée par Zwingli, rien d’étonnant à ce que les Bernois aient accepté sa représentation au Portail peint.

Et l’ange qui, entre les deux portes, accueillait les pèlerins: Gabriel ou Michel? Il y a longtemps que les spécialistes se divisent à ce sujet. Si seulement le pauvre ange n’avait pas été mutilé! Or, il n’a plus de mains et ne porte donc plus les attributs qui auraient permis de l’identifier sans hésitation.

On sait le rôle joué par les sermons sur la Vierge prononcés par saint Amédée, moine cistercien et évêque de Lausanne de 1144 à 1158. Ces homélies étaient lues aux offices mariaux célébrés par les chanoines jusqu’à la Réforme et elles ont certainement influencé la composition du Portail peint. Dans un portail consacré à Marie, n’est-il pas normal de trouver au milieu des prophètes et apôtres ayant annoncé la venue du Christ l’ange Gabriel, messager de l’Annonciation? Or, l’ange de l’Annonciation, Gabriel, est aussi selon la Tradition celui qui est apparu à Marie à la fin de sa vie à Jérusalem (d’où la présence de la ville sainte sous ses pieds) pour lui annoncer sa prochaine Assomption.

Aux spécialistes de la sculpture gothique nous posons la question: le contexte de l’histoire et de la vie liturgique lausannoise n’ont-ils pas joué un rôle déterminant dans la composition du Portail? Mais ce ne sont que propos d’un guide amateur qui ne voit pas comment il est possible d’expliquer le sens théologique et marial du Portail sans la présence de l’ange Gabriel.

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