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Le souverain refuse le désarmement

Félicien Monnier
La Nation n° 1977 4 octobre 2013

Le 22 septembre dernier, une belle bataille a été gagnée. De nombreuses turbulences s’annoncent malgré tout à l’horizon des prochaines années. Nous en identifions deux principales.

Les Chambres ont accepté l’achat des avions de combat Gripen il y a quelques semaines. La gauche officielle a promis un référendum. Probablement le GSsA sera-t-il exclu de la partie. Elle craint trop d’associer son label «sans armée» à ses propres actions. Un tel geste ne peut être que rhétorique. Rappelons que Verts et socialistes ont mis l’abolition de l’armée à leur programme.

Il y a une certaine cohérence entre la décision du peuple et des cantons et l’achat du Gripen. Le 22 septembre, c’est le service militaire obligatoire qui a été plébiscité; pas une vague obligation universelle de servir permettant, à choix, de faire fantassin ou concierge d’EMS. Derrière ce vote se dissimule une forte volonté de défense.

Une armée cohérente dans l’ensemble de ses moyens tactiques doit compter avec une force aérienne digne de ce nom. Cela passe par le remplacement le plus rapide possible du Tiger F-5. Avec le Gripen, nous assurons également la capacité d’appui au sol. Vouloir un tel moyen opératif revient à prévoir la possibilité d’une guerre, au sens le plus violent du terme. Ce point crispera le débat prochain.

Mais soyons lucides sur nos capacités de projection dans le temps. Le programme d’acquisition du Gripen a commencé en 2008. Il sera terminé en 2020. Il aura donc fallu quinze années pour acheter un avion qui doit en durer trente. Que le devin qui ose affirmer qu’il connaît déjà l’état de l’Europe en 2050 s’avance. Son courage n’aura d’égal que sa folie.

Dans le même registre tactico-organisationnel, le département de la défense est en train de préparer la réforme DEVA1. La période de consultation s’achève. Le DEVA a pour objectif officiel d’améliorer la disponibilité de l’armée pour les engagements immédiatement prévisibles. Elle aura néanmoins deux conséquences que nous condamnons fermement.

La première est de limiter la composante «défense» à sa part la plus faible de toute l’histoire de l’armée suisse. Le rapport reconnaît explicitement (en note de bas de page) les raisons budgétaires de cet amaigrissement2. Nous perdrons de très importants moyens, notamment d’artillerie et anti-aériens.

Comme souvent, et pour atténuer l’amputation de l’armée de ses composantes essentielles, le texte de consultation du DEVA en appelle à la théorie de la montée en puissance. Nous avons souvent démontré l’inanité de cette théorie. Elle exige deux choses que nous n’avons pas en quantité suffisante: des sommes gigantesques d’argent – il s’agit de centaines de milliards – à dépenser d’un coup, et du courage politique. Et si cette montée en puissance devait commencer maintenant? L’Europe est dans un état catastrophique comme elle n’en a pas connu depuis septante ans. Un seul politicien a-t-il évoqué la nécessité d’amorcer une telle préparation? Non! Au contraire, nous supprimons effectifs et moyens.

Le souverain a plus largement exprimé son attachement à l’armée. L’armée suisse, ce n’est pas que des hommes astreints auxquels on donne un fusil. Une armée, c’est une chaîne de commandement entraînée, du matériel entretenu, des véhicules qui roulent, de la munition, des systèmes d’armes modernes et mille autres points qui donnent toute sa cohérence à l’institution. Le peuple et les cantons n’ont pas plébiscité un idéal politique éthéré. N’oublions pas que le citoyen est soldat. Il a voté sur la vie concrète qu’il voulait mener en cours de répétition. Ne le décevons pas.

La deuxième et principale faiblesse de la réforme est de prévoir la baisse de l’effectif à cent mille hommes. L’obligation de servir sera à peu près annihilée par une telle mesure. Pour garantir que chacun fasse du service, «les jours de service ont été diminué au maximum», nous indique le rapport. Comme si le service militaire obligatoire était une entrave plus qu’un avantage politique.

Nos autorités doivent prendre acte de la volonté du souverain. Elles n’ont pas à rendre caduque l’obligation de servir par compromis mou ou pragmatisme budgétaire mal placé. Une armée de cent mille hommes, s’accompagnant d’une réduction des jours de service, fait de l’obligation de servir un simple épouvantail. Nous devons par exemple nous attendre à une probable baisse artificielle du taux d’aptitude au service militaire. Avec de si faibles effectifs, la voie bleue3 est presque officialisée. Le cas échéant, les médecins des centres de recrutement devront être serrés de près.

En 2000, le GSsA et la gauche avaient échoué dans leur tentative de diviser le budget militaire de moitié. Le souverain les avait, une fois de plus, désavoués. Qu’à cela ne tienne. Dans les deux années suivantes, le parlement s’est chargé d’effectuer cette division du budget.

Personne ne s’y est opposé. La réitération d’une telle manœuvre n’est dans l’intérêt ni de l’armée, ni de la Confédération.

Notes:

1 Rapport explicatif concernant la modification des bases légales liées au développement de l’armée (mise en œuvre du rapport sur l’armée 2010), du 26 juin 2013. DEVA: développement de l’armée; WEA en allemand pour Weiterentwicklung der Armee.

2 «La raison principale de cette limitation réside dans la gestion budgétaire des ressources.

Une capacité permanente à assurer la défense dans l’optique d'une attaque militaire nécessiterait des dépenses bien plus élevées. Un second motif pour limiter la compétence de défense réside dans le fait que, de cette manière, l'adaptation continue en fonction des menaces militaires en mutation apparaît plus simple.», Rapport DEVA, p. 10.

3 On dit qu’un conscrit emprunte la «voie bleue» lorsqu'il prétend, à tort et volontairement, être atteint de quelque maladie physique ou psychique. Son argumentation est parfois appuyée d’un certificat médical de complaisance. Moins l’armée a besoin de monde, plus le recours à cette voie est aisé.

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