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Suivez le guide!

Ernest Jomini
La Nation n° 1977 4 octobre 2013

Cet article sera le dernier de la série. Au moment d’achever ce tour de Lausanne, nous tenons à dire notre reconnaissance aux «Guides d’accueil du Mouvement des Aînés (MdA)». Si sur certains points notre texte a été le résultat de recherches personnelles, nous sommes bien conscients de tout ce que nous devons aux Guides qui, depuis plus de vingt-cinq ans, ont rassemblé les informations et les études permettant de présenter aux visiteurs les monuments, l’histoire et la vie de notre capitale vaudoise. A cet hommage à tous nos anciens collègues, nous voudrions joindre une mention toute spéciale pour Mme Madeleine Gonin. Présente presque dès l’origine du Mouvement des Guides, elle a mis son intelligence et son énergie au service de ce qui est devenu une institution reconnue par les pouvoirs publics cantonaux et communaux.

 

D’un évêque bâtisseur à un vide historique

Lors de notre visite du Château, nous avons déjà parlé de l’avant-dernier évêque de Lausanne Aymon de Montfalcon (1491-1517) et de son apport artistique à cet édifice. Mais c’est surtout la Cathédrale qui va être l’objet des modifications architecturales importantes du prélat. En effet, il supprima le passage qui traversait la Cathédrale et fit construire à cet emplacement les actuelles fenêtres au gothique flamboyant. Il agrandit l’édifice, déplaçant les portes à l’endroit où elles se trouvent aujourd’hui et construisit le portail d’entrée.

C’est à lui aussi qu’on doit la chapelle dédiée aux martyrs de Saint- Maurice et les magnifiques stalles dans lesquelles les chanoines, sept fois par jour, priaient l’Office Divin. Quand on est en face des stalles, on voit d’abord de gauche à droite quatre panneaux: Samson, personnage de l’Ancien Testament, qui saisit un lion par la mâchoire supérieure et lui casse la gueule; l’adoration des mages; la Nativité; la visite des bergers à la crèche. Au-dessus des sièges des chanoines, nous avons tout à gauche saint Jacques arborant la coquille des pèlerins. Puis saint Maurice et ses compagnons martyrs avec l’évêque Aymon. Viennent ensuite les apôtres portant chacun en sautoir une inscription latine: une phrase du Symbole des apôtres. A droite saint Benoît, saint Jean-Baptiste et sainte Catherine d’Alexandrie; puis de nouveau l’évêque Aymon agenouillé marquant sa dévotion à Notre-Dame, qui figure sur le dernier panneau. Mais l’Enfant Jésus qu’elle tenait dans ses bras a disparu, hélas! Et bien sûr, à plusieurs reprises sur les stalles, la devise bien connue de l’évêque: «Si qua fata sinant

Dirigeons-nous maintenant vers le vestibule où se trouve une peinture représentant le couronnement d’épines: le Christ est assis sur un siège et les soldats Lui enfoncent la couronne sur la tête à coups de bâtons. Autres peintures aussi sur la voûte du porche consacrées à des scènes de la vie de la Vierge.

Mais attachons-nous plus particulièrement à regarder les cinq statues situées dans le porche à notre niveau: sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, qui porte sur un bras sa fille et sur l’autre bras son petit-fils l’Enfant Jésus; et la Vierge apprend à lire à son Enfant. Saint Antoine accompagné d’un petit cochon, emblème des moines antonites qui avaient le privilège de faire paître librement leurs porcs dans les forêts dont ils mangeaient les glands. Sainte Barbe et la tour dans laquelle elle fut enfermée pour son supplice. Saint Sébastien, attaché à un poteau, qui fut transpercé de flèches; c’est pourquoi son corps est parsemé de trous. Sainte Catherine d’Alexandrie représentée avec le glaive qui lui a tranché la tête et, au bas, l’effigie de l’empereur romain Maximien qui avait ordonné son supplice. Ces cinq statues, réalisées autour de 1500, se trouvaient au portail extérieur construit par Aymon de Montfalcon. Elles y sont restées pendant quatre cents ans, ont subi le vent et la pluie qui ont rongé les visages. Car la pierre dont elles étaient tirées était trop tendre pour résister à l’usure des siècles.

Commencé vers 1500, le portail voulu par Aymon de Montfalcon n’était pas terminé en 1536 au moment de la Réformation. Il resta donc inachevé et soumis à l’usure des éléments naturels jusqu’à la fin du XIXe siècle. C’est à cette époque que l’Etat de Vaud décida de refaire à neuf et de compléter ce portail inachevé. Le sculpteur Raphaël Lugeon fut chargé de ce travail. Pour cette rénovation, on choisit une pierre dure qui résisterait mieux à l’usure du temps. Objectif réalisé, puisque ce portail a maintenant plus de cent ans et que le vent, la pluie et la pollution moderne ne l’ont pas abîmé. Mais hélas! la couleur de cette pierre ne s’accorde pas à la couleur de la molasse grise de la Cathédrale.

Lugeon se mit donc au travail et reproduisit fidèlement les cinq statues d’origine entreposées dans le vestibule. Elles sont placées tout en haut du portail. Et pour le reste, là où il n’y avait pas de statues à copier? Le sculpteur en inventa de nouvelles et s’inspira de figures bien connues de la vie lausannoise. C’est ainsi que le roi David, deuxième à droite de la porte d’entrée, est le célèbre architecte français Viollet-le-duc, reconstructeur de la tour lanterne en 1879. Il avait d’ailleurs légitimement sa place à ce portail, car l’œuvre de «restauration» qui se réalisait était bien dans la ligne de celui qui a inondé la France de reconstitutions en faux gothique. A part ça, parmi les personnages représentés pour nous accueillir à la Cathédrale, nous trouvons, par exemple, M. Burnat, membre du comité de restauration, le conseiller d’Etat Simon, M. Lugeon, père de l’architecte. Ainsi les Lausannois qui venaient au culte se voyaient accueillis par les notables de la ville.

Enfin, au centre du portail, entre les deux portes, se trouve un trumeau où manifestement on a ménagé une place pour une statue importante. Or, cet emplacement est vide. Que s’est-il passé? On sait que le sculpteur Lugeon avait prévu de placer à cet endroit central, dans cette Cathédrale autrefois dédiée à la Vierge, une statue de Marie, mère de Jésus. Or, dans ce Pays de Vaud de 1900 très protestant, cette intention de l’artiste, dès qu’elle fut connue, suscita des polémiques.

N’était-on pas en train de recatholiciser la Cathédrale? Pourquoi ne pas mettre saint Paul? Ou saint Jean? En vain Lugeon proposa-t-il de faire une nouvelle statue: une figure féminine représentant l’Evangile surmontant l’hérésie. Pour mettre fin à toute polémique, le Conseil d’Etat, en 1906, mit son veto: il n’y aurait pas de statue entre les deux portes. Quand on ne peut se mettre d’accord, on ne fait rien: ce principe de grande sagesse politique, typique des Vaudois, ne peut que susciter l’admiration des visiteurs étrangers au Canton. Et c’est ainsi que nous avons à l’entrée de la Cathédrale un vide historique. Sera-t-il un jour comblé?

Un visiteur, qui nous a accompagné un jour dans ce tour de la Cathédrale, nous a déclaré, avec une malice bien vaudoise: «Ah! ils ont laissé une place pour le syndic Brélaz!»

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