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La France piégée

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1980 15 novembre 2013

La semaine passée, l’excellent site Boulevard Voltaire nous apprenait que M. Oskar Freysinger était membre du Conseil fédéral! C’est ainsi, les Français ne comprennent rien à nos institutions1. Ils ne s’intéressent d’ailleurs pas assez à nous pour essayer.

En sens inverse, et même quand elle nous navre ou nous irrite par sa prétentieuse ignorance à notre égard, nous admirons la France, son histoire si colorée, exemplaire dans le bien comme dans le mal; sa littérature, La Fontaine, indémodable, Molière, éternellement nouveau, Baudelaire, Proust, Colette; ses peuples si divers, Bretons, Provençaux, alsaciens et même, à doses mesurées, Parisiens; son prodigieux patrimoine architectural, ses inventeurs, la 2CV, Poussin, Manet, Daumier, San-Antonio, le Canard Enchaîné… on pourrait continuer ainsi indéfiniment.

À part nos destins politiques séparés depuis si longtemps et si définitivement, tout nous relie à la France. C’est pour cela que son évolution politique, morale et économique nous consterne au premier chef.

Ce grand pays est pris à la gorge par le centralisme politique et l’étatisme économique. On dit que le centralisme a commencé avec Richelieu et l’étatisme avec Colbert. On peut en discuter. Ce qui est certain, c’est que l’un et l’autre se sont accrus continuellement dès la Révolution et jusqu’à aujourd’hui.

La décolonisation a engendré un reflux vers la métropole, non seulement sous la forme d’une immigration en provenance des anciennes colonies, accompagnée d’une autre religion et d’autres mœurs, mais aussi sous la forme d’un sentiment mêlé, fait de ressentiment et de culpabilité. Décuplé par le traumatisme de la guerre d’Algérie, ses trahisons et ses abandons sanglants, ce sentiment diffus rend beaucoup de Français incapables d’assumer leur réalité nationale.

La référence à la nation n’est d’ailleurs tolérée que sur les plans moral (la «France de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen») et fiscal (l’évasion vers des fiscalités un peu moins infernales est devenue le péché par excellence). Pour le reste, toute affirmation nationale est considérée comme le germe d’une discrimination inacceptable. L’inquisition fait rage. Le monde officiel, politiciens, gens de la presse, artistes et bateleurs divers, communie dans la dénonciation indignée du nationalisme, automatiquement amalgamé au racisme et au fascisme. L’«affaire Leonarda», affaire de police gonflée en affaire d’Etat, pour ne pas dire en crime contre l’humanité, est exemplaire à ce sujet.

Depuis le cataclysme de 1789, les Français n’ont cessé de se détester. Tout leur est devenu une occasion de se diviser, de se dénoncer, de se décimer. Les effroyables soubresauts politiques, militaires et sociaux du XIXe siècle, la subversion communiste, la séparation persécutrice des Eglises et de l’Etat au début du XXe, la collaboration et une interminable épuration ont constamment ravivé la blessure et renforcé les divisions.

Toute décision importante est aussitôt combattue par trop d’électeurs pour que le pouvoir ne soit pas contraint de revenir en arrière. Elle n’est d’ailleurs combattue que parce que c’est l’autre bord qui l’a prise. Et c’est d’autant plus absurde que tous font plus ou moins la même chose: un coup à droite, un coup à gauche, un coup n’importe où, mais à court terme, et souvent dans l’eau. On a mangé les intérêts, on a mangé le capital et davantage. Il ne reste plus qu’une dette énorme et des promesses intenables.

Les seules mesures qui rencontrent une large adhésion sont celles qui mettent en musique le principe égalitaire, la dernière étant le mariage pour tous, en attendant l’adoption pour les couples helgébétés. Chaque pas dans ce sens contribue à la disparition d’une civilisation dont on ne supporte plus la charge.

L’opposition «de droite» utilise chaque occasion pour vilipender le chef de l’Etat, qu’il ait tort ou raison, tout en se divisant elle-même tant qu’elle peut, chaque chef de faction n’ayant d’autre but que de se «profiler» en vue des élections de 2017. La gauche ne faisait pas différemment sous le quinquennat précédent.

Ils se haïssent et s’affrontent à l’intérieur de leur parti pour mieux se préparer à haïr et affronter le parti d’en face.

L’état de la France demanderait un pouvoir calme et durable, qui aurait l’adhésion d’une bonne partie de la population et qui pourrait, sur vingt-cinq ans ou plus, désengorger l’administration centrale, revivifier les provinces, restaurer les libertés et les responsabilités personnelles, laisser respirer l’agriculture, les petites entreprises et l’industrie, persuader les syndicats que le travail est une bonne chose; un pouvoir qui inspirerait assez de confiance pour que le peuple admette la nécessité de certaines mesures douloureuses, et qui disposerait d’assez de temps pour les appliquer en douceur.

La division consubstantielle à la démocratie électorale, la brutalité extrême des rapports entre les partis, la brièveté des mandats présidentiels, mais aussi la décomposition du tissu social et la profondeur du désamour français rendent cet espoir insensé. La France est piégée. Quel que soit le détenteur du pouvoir, le régime républicain la condamne à se désagréger.

La plupart des critiques, les Elisabeth Lévy, Alain Soral, Eric Zemmour, Renaud Camus et autres Dominique Jamet apparaissent comme des individualistes, voire, pour certains, des anarchistes, qui réagissent avec perspicacité, style et courage sur le plan de la logique, du jugement et de la dénonciation. Leurs positions diffèrent sans doute les unes des autres, mais aucun ne remet le régime en cause, ni les «valeurs républicaines». Aucun ne propose une vision d’ensemble et des institutions qui soient à la hauteur de la situation. Seule l’Action française présente une doctrine politique complète réellement différente, fondée sur le principe de la monarchie héréditaire. La constance de ses responsables, leur dévouement, la force de leurs démonstrations ne suffisent apparemment pas pour restaurer une tradition dynastique rompue si brutalement et depuis si longtemps… même si, dans sa psychologie profonde, la France reste monarchique.

Alors, le Front national? Son succès actuel manifeste moins une montée de la confiance envers ses chefs et leur programme que l’évidente débâcle du système. Pourtant, sur plusieurs points fondamentaux, le Front fait partie du système. Il est lui aussi étatiste et centralisateur. Il est lui aussi égalitaire, en tout cas pour les Français. Il croit lui aussi à la légitimité fondée sur le nombre.

De toute façon, une victoire de Mme Le Pen aux présidentielles ne serait acceptée ni par la gauche, ni par la droite. Il faut tenir pour probable qu’elle déboucherait sur la guerre civile.

Notes:

1 «À part napoléon et Charles Maurras», corrigeait M. Regamey.

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