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L’amazone de Wattewille

Jean-François Pasche
La Nation n° 1980 15 novembre 2013

Le regard fier entouré d’une crinière de boucles blondes, vêtue d’une cuirasse, une main sur la hanche, et accoudée sur un casque à visière dans une attitude nonchalante: c’est le portrait livré à la postérité de Catherine de Watteville. Cette posture de seigneur de guerre est plutôt insolite pour une femme membre de la haute aristocratie bernoise de l’ancien Régime.

Catherine de Watteville naît en 1645 et vit son enfance à Bonmont puis à Oron, où son père occupe la fonction de bailli de 1652 jusqu’à sa mort en 1657. Elle a dix frères et sœurs. Dès son plus jeune âge, Catherine se révèle bien plus encline à courir les champs et à se battre avec ses frères qu’à exécuter calmement quelques travaux de broderies; son rêve est de pouvoir porter à sa ceinture dagues et pistolets, comme ses frères. Très vite, elle apprend à monter à cheval et devient une excellente cavalière. Une petite anecdote illustre bien ce propos: un jour, elle relève le défi, avec succès, de mater un jeune cheval retors et imprévisible en selle d’amazone!

Therese Bichsel, dans un roman traduit récemment de l’allemand, retrace à travers un récit savamment agencé la vie étonnante de l’amazone de Watteville. Orpheline de père et de mère à l’âge de treize ans, elle n’a dès lors plus de foyer et va vivre successivement chez les différents membres de sa famille. À sa mort, son père n’a laissé que des dettes et Catherine et ses trois sœurs se retrouvent sans dot. D’un caractère hors normes, sans fortune, aucun homme de sa condition n’ose la demander en mariage.

Catherine est passionnée de politique, ce qui est inconvenant pour une femme de son rang. Cependant, à dix-neuf ans, elle vit un court épisode amoureux à Morat avec Charles de Diesbach. Il est fribourgeois et surtout catholique, raison pour laquelle le consistoire de Berne empêche leur mariage. C’est ainsi qu’elle est contrainte d’épouser à vingt-trois ans un jeune pasteur, Abraham Le Clerc. C’est une mésalliance signifiant pour Catherine que ses éventuels fils n’auront pas accès aux grades d’officier au service de France ou aux hautes charges de l’Etat bernois. Les rêves de gloire de la jeune femme s’effondrent. Le Clerc meurt en 1679, laissant Catherine sans enfants. Cependant, elle se remarie dans l’année avec un greffier bourgeois de Valangin et, à trente-six ans, accouche de son seul enfant, Théophile.

Catherine est tout acquise à la cause française; elle voue une grande admiration à Louis XIV et, adolescente, a été fascinée par les récits des fêtes données à la Cour de Versailles. Politiquement, elle est convaincue que l’intérêt de l’Etat de Berne est dans la bonne entente avec la France. Mais, dans le Canton à la fin du XVIIe siècle, l’ambiance est fortement antifrançaise, notamment à cause de la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Les Bernois éprouvent alors de la solidarité envers leurs coreligionnaires français qui fuient leur pays. Malgré tout, il reste à Berne un parti profrançais qui n’ose se montrer mais qui reste actif. À trente-neuf ans, vu ses idéaux politiques, Catherine y prend une part active en tant qu’agent de renseignement. En servant la France, elle espère aussi obtenir de la reconnaissance, qui pourra rejaillir sur son fils. En effet, depuis la naissance de Théophile, elle fait tout pour lui assurer les honneurs dignes de son rang. Trahie par une servante, l’amazone de Watteville est emprisonnée à Berne en décembre 1689. Jugée, elle échappe de peu à la peine de mort et est condamnée au bannissement. Catherine passe la fin de sa vie à Valangin auprès de son mari, à qui elle dicte son Mémoire autobiographique, qu’elle destine à Louis XIV; elle ne veut pas se faire oublier du monarque qu’elle a servi avec fidélité! Cet écrit sert de base au roman.

En plus de nous livrer un portrait épique d’une femme de la haute aristocratie bernoise du XVIIe siècle, Therese Bichsel donne au travers de son récit à sentir le pouls de la société d’ancien Régime dans les différents lieux où a vécu Catherine de Watteville.

Notes:

Therese BICHSEL, Catherine de Watteville; Du château d’Oron à la cour de Versailles, Editions de l’aire, Vevey, 2013.

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