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Hommage posthume d’une Vaudoise d’adoption à une autre Vaudoise d’adoption

Laurence Benoit
La Nation n° 1980 15 novembre 2013

Elle s’appelait Constance – un nom qui lui allait si bien! – mais tout le monde l’appelait Connie, en usant du diminutif anglo-canadien de son prénom d’origine.

Elle était la digne descendante des rudes et entreprenants pionniers puritains qui défrichèrent les terres ingrates du Canada britannique. Ses parents étaient des fermiers industrieux et des membres engagés d’une église protestante locale. Dans une fratrie de neuf enfants, elle occupait la troisième place et c’est probablement à ce rang qu’elle dut l’épanouissement de certaines des qualités qui la caractérisèrent toute sa vie: sociabilité, résistance à l’effort et sens pratique.

Elle se convertit très jeune au christianisme de son milieu d’origine. Animée d’une foi vivante qu’elle désirait partager et dotée d’une inépuisable énergie, elle s’engagea très tôt dans des œuvres d’évangélisation qui la conduisirent à faire le chemin presque inverse de ses pieux ancêtres. Elle retourna sur le Vieux Continent, en France déchristianisée et considérée comme terre de mission, et c’est là qu’elle rencontra son mari: un «ch’ti» issu, comme elle, d’une famille nombreuse de protestants laborieux.

Ils vécurent un peu en France où ils eurent deux filles, un peu au Canada où ils eurent une troisième fille, et finirent par s’installer définitivement à Lausanne dans les années huitante, lorsque son mari devint comptable d’une société missionnaire vaudoise. Leur quatrième enfant, un garçon, naquit ici.

Pendant plus de vingt ans, avec une fidélité à toute épreuve, elle fréquenta avec sa famille une église libre locale dont elle fut l’un des piliers, mais un pilier plein de vitalité.

C’est là que je l’ai rencontrée.

En raison de ses quatre enfants, elle s’investit au foyer pendant de nombreuses années pour s’occuper de la smala qu’en femme posée et énergique elle gérait comme une petite entreprise. Extrêmement ouverte sur l’extérieur, d’un naturel enjoué et d’un abord chaleureux, elle noua des contacts profonds et durables avec tous les gens de son église, de son quartier et des multiples associations dont elle fit partie.

Profondément hospitalière, elle accueillait chez elle, à bras ouverts, tous ceux qui en manifestaient le besoin et son appartement ne désemplissait pas: on y voyait défiler voisins, camarades de ses enfants, mères de famille déboussolées ou harassées, amis de l’Eglise et d’ailleurs. Très souvent les dimanches, sans jamais se lasser, elle invitait à manger, à tour de rôle, les familles, les esseulés et les canards boiteux de son assemblée, en les mélangeant parfois, sans laisser personne de côté. Elle écoutait, consolait, conseillait, puis n’insistait pas. Bien qu’il fût difficile de repérer en elle les traces des vices et des faiblesses les plus communs, elle se montrait toujours indulgente à l’égard de ceux qui se débattaient encore avec eux.

Elle avait conservé de ses origines un flegme tout britannique et, en toutes circonstances, elle gardait un calme olympien qui lui permettait d’abattre toutes sortes de travaux, ménagers ou administratifs, sans tension apparente.

De ses ancêtres, elle avait aussi hérité un humour pince-sans-rire qui, jamais méchant, était toujours décapant. Mais elle parlait aussi un meilleur français que la plupart des autochtones et pratiquement sans accent. Son orthographe était irréprochable et elle était redoutable au jeu de scrabble.

Alors même qu’elle était dotée d’un physique plaisant, elle avait gardé de son milieu pastoral une indifférence presque totale au paraître qui la conduisait, non à renoncer à tout artifice, mais à ne pas même y songer. Sa tenue était cependant toujours gaie et correcte et elle était belle, car elle rayonnait de l’intérieur, pour ceux qui savaient le voir.

Il lui restait de son éducation puritaine dans un pays sans tradition viticole un dégoût pour toutes les boissons alcoolisées, dont la Française que je suis – élevée près du Bordelais dans une famille de restaurateurs et de fines gueules – se moquait gentiment. Mais aussi un regret, celui de ne pas avoir appris à danser, calvinisme oblige! Par contre, elle adorait chanter et, telle l’une des sœurs du Festin de Babette, elle possédait une très jolie voix dont elle faisait profiter diverses chorales.

S’étant elle-même convertie très jeune à la foi de ses ancêtres, elle prenait très au sérieux la parole du Christ réprimandant ses disciples et leur disant: Laissez venir à moi les petits enfants. Elle avait donc les tout petits à cœur et elle s’occupa longtemps de l’organisation de l’école du dimanche et de camps pour les jeunes de l’Eglise, auxquels elle invitait courageusement les enfants de son quartier, souvent issus de l’immigration. Elle aimait les enfants et ils le lui rendaient bien. C’est ce souci constant pour eux qui la conduisit, lorsque les siens furent élevés, à s’investir corps et âme, avec son mari, pour la fondation vaudoise le Grain de Blé international, qui s’occupe d’apporter, en même temps qu’un soutien matériel, la bonne nouvelle de l’Evangile aux enfants défavorisés du monde entier.

Contrairement à ce que notre portrait pourrait laisser supposer, Connie n’eut jamais rien d’une bigote ou d’une fanatique. Par contre, elle n’eut jamais, jamais, jamais honte de l’Evangile qu’elle défendit et promut avec douceur, charité et constance, dans le respect des autres, tout au long de sa vie.

Chose très rare, elle avait en même temps le cœur immense et profond. Tout en y faisant entrer un nombre incalculable de personnes, elle donnait à chacun l’impression qu’il était le chouchou. Ce qu’elle donnait à l’un, elle n’en privait personne d’autre parce qu’elle puisait à pleines mains, depuis sa plus tendre enfance, à la Source inépuisable de tout amour authentique.

On connaît la définition de l’amour selon Lacan: «Donner ce qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas». Sans rien exiger en retour, Connie donnait ce qu’elle avait à des gens qui lui en étaient infiniment reconnaissants, et tous ceux qui l’ont connue en resteront définitivement marqués.

Chose plus rare encore: à ce vaste cœur, elle joignait une tête bien faite et une force d’âme peu commune.

Lorsque le cancer du pancréas qui devait l’emporter commença à se manifester, elle se comporta comme on pouvait s’y attendre: avec courage, patience et dignité et, en plus, avec charité. Là où d’autres se seraient repliés sur eux-mêmes, elle s’ouvrit davantage encore et fut aussi disponible que le permit sa maladie. On vit défiler à son chevet, à l’hôpital, tous ceux, issus de tous horizons, pour qui elle avait compté.

Cependant, elle résista vaillamment à ceux qui lui prêchèrent un Evangile du bonheur terrestre en lui faisant miroiter une guérison miraculeuse. Elle savait qu’une maladie courageusement supportée était un témoignage bien plus puissant et presque aussi rare qu’un miracle.

Avec la vitalité qui la caractérisait et en raison de la force de son attachement pour les siens et des siens pour elle, son dernier combat contre le dernier ennemi ne pouvait qu’être long et viril, et il le fut. Comme son Sauveur, elle finit par s’éteindre le matin du Vendredi de Pâques, mais contrairement à lui, après une paisible, mais interminable agonie.

Au moment où Connie mourut, les démarches qu’elle avait entreprises pour obtenir la nationalité suisse, alors en phase finale, n’avaient pas encore abouti et restèrent donc définitivement en suspens. À défaut d’obtenir ce titre officiel, il m’a semblé qu’ayant activement participé au bien commun de ce Canton et à son rayonnement à l’extérieur une bonne partie de sa vie, elle avait mérité le titre posthume et symbolique de Vaudoise.

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