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M. Blocher n’a pas tout à fait tort

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1989 21 mars 2014

M. Blocher a déclaré que les Romands ont «toujours eu une conscience suisse plus faible» que les alémaniques (immer ein schwächeres Bewusstsein für die Schweiz). Et il a complété en distinguant «ceux qui veulent s’adapter et les autres qui se battent pour l’indépendance». Ce genre de considération n’est pas très heureux pour l’unité de la Confédération, et pas très gentil pour les troupes francophones de l’Union démocratique du centre.

Cela dit, M. Blocher n’a pas tort de relever que la Suisse est diverse même en matière de conceptions politiques. Mais le «tribun zuricois», comme dit la presse, aurait dû pousser la différenciation jusqu’au bout et ne pas s’arrêter aux groupes linguistiques. Il aurait dû affirmer que chaque canton suisse cultive une approche particulière du fait national et de ses relations à la Suisse. Cela lui aurait permis d’intégrer sans offenser la logique le fait que son propre canton de Zurich, germanophone, combatif, bourré de Bewusstsein et tout, avait voté comme les cantons romands.

Le Canton de Vaud, reste de l’Helvétie romaine, avait déjà parcouru une route longue et accidentée quand il est devenu membre de l’alliance fédérale. De son côté, l’alliance fédérale avait bien évolué quand les cantons de Vaud, du Valais, de Neuchâtel, de Genève et du Tessin l’ont rejointe. Peut-on pour autant considérer ces derniers comme des pièces étrangères, surajoutées à un ensemble suisse qui s’en serait parfaitement passé? Dans l’esprit de certains Urschweizer, c’est probable.

Aujourd’hui pourtant, une coexistence séculaire, l’expérience, si l’on ose dire, de deux guerres mondiales, une longue pratique de la neutralité et de la paix du travail ont engendré un certain esprit suisse dans tous les cantons, latins inclus. Sur les plans politique, militaire, économique et culturel, ces derniers n’ont pas démérité, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais l’esprit suisse n’est pas cultivé partout de la même manière. Le Pays de Vaud, vaste et complet, offre à ses ressortissants largement de quoi déployer et fixer leur sentiment national. Dans la perspective vaudoise, la Confédération est une institution protectrice, un bouclier militaire plus qu’une patrie au plein sens du mot. C’est ce qui explique que le Vaudois est particulièrement chatouilleux en matière de fédéralisme. Dans une récente livraison, la rédaction du site www.lesobservateurs.ch va dans le même sens et ose développer l’idée que la Suisse n’est pas une nation1.

Pour tel autre canton, au contraire, la Suisse est la patrie, et son territoire cantonal n’en est qu’une subdivision. De telles différences engendrent forcément des conceptions très diverses des souverainetés cantonales et de l’indépendance suisse.

Vaud, sûr de sa force assimilatrice, ne craint que modérément l’arrivée des étrangers. Il se sent moins menacé dans son être que les petits cantons de culture traditionnelle.

C’est aussi le cas des autres cantons romands, a estimé M. Yvan Perrin interrogé par la télévision.

Certains pensent qu’aujourd’hui, la force assimilatrice vaudoise est épuisée, usée par un flux d’étrangers constamment renouvelé. Avons-nous «les yeux plus gros que le ventre»? Ce qui est certain, c’est qu’un peuple à qui les autorités refusent obstinément d’enseigner sa propre histoire ne peut que s’étioler et se rabougrir. Et personne ne désire s’assimiler à un peuple en train de s’étioler et de se rabougrir.

Pour revenir à notre sujet, les Vaudois et les Genevois sont aussi sensibles que les alémaniques aux questions touchant l’indépendance de la Suisse. C’est d’ailleurs de leur côté et de celui du Tessin, qu’est venue la résistance référendaire à l’accord FATCA, non des cantons suisses alémaniques, dont le Bewusstsein für die Schweiz s’était bizarrement assoupi pour l’occasion.

Il est possible, et là nous nous replaçons, prudemment, dans la perspective des blocs linguistiques adoptée par M. Blocher, que les Suisses allemands se sentent plus de connivences avec les États-Unis – pour autant que l’IRS incarne les États -Unis –, tandis que les Romands penchent davantage du côté de l’Europe – en admettant que le pouvoir administratif de l’Union représente la civilisation européenne.

Le Tessin est encore un cas différent. Souvent oublié du reste de la Suisse, acculé par l’Italie, il se sent doublement marginalisé. Paranoïa imposée par la Lega dei Ticinesi? Ce n’est pas à nous de le dire, mais à sa population, qui a voté en fonction de son quotidien. Notons que si c’est le Tessin qui a le plus largement accepté l’initiative sur l’immigration de masse, c’est également lui qui a récolté le plus de signatures contre FATCA. Cela dénoterait l’existence d’une forme originale, une de plus, de coscienza della Svizzera. Il faut espérer que la mise en œuvre de l’initiative apportera à ce canton le soulagement qu’il espère.

Les différences, rappelées à sa manière par M. Blocher, sont une constante de la Confédération. En temps ordinaire, les cantons les vivent calmement et dans une ignorance réciproque qui n’a pas que des désavantages. Et c’est d’autant plus facile quand les cantons ne sont pas soumis à une loi unique conçue par cette vingt-septième culture suisse qu’est l’administration fédérale. Ces différences se vivent d’une manière plus heurtée, voire conflictuelle, lorsqu’il s’agit de décisions vitales touchant l’ensemble de la Suisse. La nature profondément hétéroclite de l’alliance fédérale resurgit alors, telle qu’en elle-même, et c’est normal.

oLiVieR DeLaCRÉTaZ

1 www.lesobservateurs.ch/2013/11/11/ nation-quils-savent-pas-voir/

M. Blocher a déclaré que les Romands ont «toujours eu une conscience suisse plus faible» que les alémaniques (immer ein schwächeres Bewusstsein für die Schweiz). Et il a complété en distinguant «ceux qui veulent s’adapter et les autres qui se battent pour l’indépendance». Ce genre de considération n’est pas très heureux pour l’unité de la Confédération, et pas très gentil pour les troupes francophones de l’Union démocratique du centre.

Cela dit, M. Blocher n’a pas tort de relever que la Suisse est diverse même en matière de conceptions politiques. Mais le «tribun zuricois», comme dit la presse, aurait dû pousser la différenciation jusqu’au bout et ne pas s’arrêter aux groupes linguistiques. Il aurait dû affirmer que chaque canton suisse cultive une approche particulière du fait national et de ses relations à la Suisse. Cela lui aurait permis d’intégrer sans offenser la logique le fait que son propre canton de Zurich, germanophone, combatif, bourré de Bewusstsein et tout, avait voté comme les cantons romands.

Le Canton de Vaud, reste de l’Helvétie romaine, avait déjà parcouru une route longue et accidentée quand il est devenu membre de l’alliance fédérale. De son côté, l’alliance fédérale avait bien évolué quand les cantons de Vaud, du Valais, de Neuchâtel, de Genève et du Tessin l’ont rejointe. Peut-on pour autant considérer ces derniers comme des pièces étrangères, surajoutées à un ensemble suisse qui s’en serait parfaitement passé? Dans l’esprit de certains Urschweizer, c’est probable.

Aujourd’hui pourtant, une coexistence séculaire, l’expérience, si l’on ose dire, de deux guerres mondiales, une longue pratique de la neutralité et de la paix du travail ont engendré un certain esprit suisse dans tous les cantons, latins inclus. Sur les plans politique, militaire, économique et culturel, ces derniers n’ont pas démérité, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais l’esprit suisse n’est pas cultivé partout de la même manière. Le Pays de Vaud, vaste et complet, offre à ses ressortissants largement de quoi déployer et fixer leur sentiment national. Dans la perspective vaudoise, la Confédération est une institution protectrice, un bouclier militaire plus qu’une patrie au plein sens du mot. C’est ce qui explique que le Vaudois est particulièrement chatouilleux en matière de fédéralisme. Dans une récente livraison, la rédaction du site www.lesobservateurs.ch va dans le même sens et ose développer l’idée que la Suisse n’est pas une nation1.

Pour tel autre canton, au contraire, la Suisse est la patrie, et son territoire cantonal n’en est qu’une subdivision. De telles différences engendrent forcément des conceptions très diverses des souverainetés cantonales et de l’indépendance suisse.

Vaud, sûr de sa force assimilatrice, ne craint que modérément l’arrivée des étrangers. Il se sent moins menacé dans son être que les petits cantons de culture traditionnelle.

C’est aussi le cas des autres cantons romands, a estimé M. Yvan Perrin interrogé par la télévision.

Certains pensent qu’aujourd’hui, la force assimilatrice vaudoise est épuisée, usée par un flux d’étrangers constamment renouvelé. Avons-nous «les yeux plus gros que le ventre»? Ce qui est certain, c’est qu’un peuple à qui les autorités refusent obstinément d’enseigner sa propre histoire ne peut que s’étioler et se rabougrir. Et personne ne désire s’assimiler à un peuple en train de s’étioler et de se rabougrir.

Pour revenir à notre sujet, les Vaudois et les Genevois sont aussi sensibles que les alémaniques aux questions touchant l’indépendance de la Suisse. C’est d’ailleurs de leur côté et de celui du Tessin, qu’est venue la résistance référendaire à l’accord FATCA, non des cantons suisses alémaniques, dont le Bewusstsein für die Schweiz s’était bizarrement assoupi pour l’occasion.

Il est possible, et là nous nous replaçons, prudemment, dans la perspective des blocs linguistiques adoptée par M. Blocher, que les Suisses allemands se sentent plus de connivences avec les États-Unis – pour autant que l’IRS incarne les États -Unis –, tandis que les Romands penchent davantage du côté de l’Europe – en admettant que le pouvoir administratif de l’Union représente la civilisation européenne.

Le Tessin est encore un cas différent. Souvent oublié du reste de la Suisse, acculé par l’Italie, il se sent doublement marginalisé. Paranoïa imposée par la Lega dei Ticinesi? Ce n’est pas à nous de le dire, mais à sa population, qui a voté en fonction de son quotidien. Notons que si c’est le Tessin qui a le plus largement accepté l’initiative sur l’immigration de masse, c’est également lui qui a récolté le plus de signatures contre FATCA. Cela dénoterait l’existence d’une forme originale, une de plus, de coscienza della Svizzera. Il faut espérer que la mise en œuvre de l’initiative apportera à ce canton le soulagement qu’il espère.

Les différences, rappelées à sa manière par M. Blocher, sont une constante de la Confédération. En temps ordinaire, les cantons les vivent calmement et dans une ignorance réciproque qui n’a pas que des désavantages. Et c’est d’autant plus facile quand les cantons ne sont pas soumis à une loi unique conçue par cette vingt-septième culture suisse qu’est l’administration fédérale. Ces différences se vivent d’une manière plus heurtée, voire conflictuelle, lorsqu’il s’agit de décisions vitales touchant l’ensemble de la Suisse. La nature profondément hétéroclite de l’alliance fédérale resurgit alors, telle qu’en elle-même, et c’est normal.

Notes:

1 www.lesobservateurs.ch/2013/11/11/ nation-quils-savent-pas-voir/

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