Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Les peuples maîtres de leur destin?

Jean-François Cavin
La Nation n° 1989 21 mars 2014

En 2014, Barak Obama, président des États-Unis d’Amérique, suivi par l’UE, condamne le retour de la Crimée au sein de la Russie, consacré par un plébiscite dont le résultat n’est guère contestable, au nom de l’intégrité territoriale d’un état et de l’intangibilité des frontières. Près d’un siècle plus tôt, Woodrow Wilson, président des états- Unis d’Amérique, démembrait l’empire austro-hongrois au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Ces deux principes, considérés comme des fondements du droit international, sont contradictoires dans leur essence. On invoque l’un ou l’autre selon les circonstances, en fonction des vues et des intérêts des Puissances dominantes et des tendances de l’opinion publique. S’agit-il de la décolonisation? Le droit à l’autodétermination n’est alors contesté que par des réactionnaires, ou par des nostalgiques de la Société des Nations qui proclamait, à l’article 22 de son Pacte, que la colonisation répondait à une «mission sacrée de civilisation»! S’agit-il du Kosovo? en 2008, la déclaration unilatérale d’indépendance d’un parlement provisoire, élu pour gérer ce provisoire et non pour en sortir – il n’y a pas eu de référendum – suffit, aux yeux de l’occident, à légitimer la sécession de cette province de la Serbie, car cette solution convient stratégiquement aux USA et à leurs alliés. Inversement, la Russie campe à l’époque sur le principe de l’intégrité territoriale de la Serbie, ce qui ne l’empêche pas de favoriser ou de provoquer (comment dit-on Anschluss en russe?) la démarche d’autodétermination de la Crimée six ans plus tard!

Certains auteurs ont tenté de concilier les deux notions en établissant de subtils distinguos. ainsi lit-on que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être vu dans la perspective de la décolonisation, comme marchepied vers l’indépendance (mais ce n’était pas la conception de Wilson pour l’Europe centrale en 1818, ni celle de la SDN comme on vient de voir). Quant au droit de sécession, il ne serait admissible que si la province en cause souffre le martyr du fait de l’état dont elle relève ou si cet état accepte lui-même le processus plébiscitaire (comme le Royaume-Uni pour l’écosse actuellement); aucune des deux conditions n’est remplie dans le cas de la Crimée, mais il en allait de même, par exemple, pour l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie en 1990.

La doctrine semble tout aussi hésitante sur la question centrale du droit d’un peuple à déterminer son statut politique. Car qu’est-ce qu’un peuple? Il ne suffit pas que ce soit une minorité ethnique au sein d’un État organisé, semble-t-il; mais si cette minorité est clairement majoritaire sur une portion de territoire où elle se trouve durablement installée, comme les Corses en Corse? Ailleurs, aucune Puissance ne soutient le droit des Kurdes, peuple installé depuis des siècles dans une vaste contrée relevant de trois pays, à constituer l’État qu’il n’a d’ailleurs jamais su former au cours de l’histoire. Et le Tibet? Silence, pour ne pas indisposer Pékin...

Voilà bien des questions, auxquelles le droit international peine à répondre. Le droit international: cette discipline pathétique qui s’efforce, en s’inspirant du droit naturel, en observant la pratique chancelante des organismes internationaux, en lisant les avis alambiqués de la Cour internationale de Justice, d’en dégager certaines lois; mais en définitive, c’est la loi du plus fort qui s’impose souvent.

En attendant, la Crimée redevient russe, comme elle l’était depuis trois siècles. Les Tatars, dont la présence est bien antérieure mais qui restent peu nombreux, devront s’en accommoder, et le droit international, plus tard, intégrera peut-être cet épisode dans sa mémoire jurisprudentielle comme un précédent justifiant la sécession, ainsi que le passage sous une autre souveraineté d’une entité territoriale bien définie, jouissant d’un caractère national marqué et légitimée dans son choix propre par une assez longue histoire.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: