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Non à un salaire minimum légal

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 1989 21 mars 2014

L’Union syndicale suisse a déposé en 2012 une initiative populaire intitulée «Pour la protection de salaires équitables (initiative sur les salaires minimums)». Ce texte sera soumis en votation populaire le 18 mai prochain.

L’initiative demande d’inscrire dans la Constitution fédérale un nouvel article 110a «Protection des salaires» ayant la teneur suivante:

1.   La Confédération et les cantons adoptent des mesures pour protéger les salaires sur le marché du travail.

2.   A cette fin, ils encouragent en particulier l’inscription dans les conventions collectives de travail de salaires minimaux d’usage dans la localité, la branche et la profession, ainsi que le respect de ces salaires.

3.   La Confédération fixe un salaire minimal légal. Ce salaire est applicable à tous les travailleurs en tant que limite inférieure contraignante. La Confédération peut édicter des dérogations pour des rapports de travail particuliers.

4.   Le salaire minimal légal est indexé régulièrement sur l’évolution des salaires et des prix, dans une mesure qui ne peut être inférieure à l’évolution de l’indice des rentes de l’assurance- vieillesse et survivants.

5.   Les dérogations et l’indexation du salaire minimal légal sur l’évolution des salaires et des prix sont édictées avec le concours des partenaires sociaux.

6.   Les cantons peuvent édicter des suppléments contraignants au salaire minimal légal.

Des dispositions transitoires précisent que le salaire minimal légal devrait être fixé à 22 francs par heure, soit environ 4000 francs par mois, sous réserve de l’évolution des salaires accumulée depuis 2011.

Une erreur de principe

Une intervention de l’état pour fixer un salaire minimum gesamtschweizerisch, indépendamment des différences importantes qui existent entre les cantons et les régions d’une part, entre les métiers d’autre part, constituerait une erreur de principe. La détermination des minimums salariaux, comme celle des autres éléments des relations de travail, doit être laissée à la libre appréciation des partenaires sociaux – organisations patronales et syndicats –, lesquels sont mieux à même de prendre en compte tous les paramètres déterminants. Le recours au partenariat social est une constante dans l’économie helvétique et la prospérité de cette dernière atteste de la justesse de ce choix.

Les syndicats qui défendent l’initiative – il y en a aussi qui s’y opposent! – affirment vouloir mieux protéger les nombreux travailleurs non couverts par une convention collective, soit environ 50%. On fera remarquer que, parmi ces derniers, beaucoup sont loin de toucher des bas salaires. Quant aux cas réellement problématiques où l’absence de convention collective se fait négativement sentir, ils devraient être appréhendés comme autant de défis pour les partenaires sociaux plutôt que comme un prétexte à faire intervenir le rouleau compresseur de l’état.

Une proposition extrême

Parler de rouleau compresseur n’est pas exagéré, car c’est un régime extrêmement lourd que propose l’initiative. Le montant proposé pour le salaire minimum placerait en effet la Suisse très largement en tête des pays les plus généreux: en valeur absolue, ce qui est compréhensible, mais aussi en comparaison du pouvoir d’achat, ainsi qu’en proportion du salaire médian. Cette dernière notion est pertinente: le salaire médian (soit la limite entre les 50% supérieurs et les 50% inférieurs) exprime en quelque sorte le «niveau général» des salaires. Un salaire minimum fixé beaucoup plus bas (38% du salaire médian aux États-Unis, 47% en Grande-Bretagne) n’a que peu d’influence; en revanche, plus le minimum imposé est proche du «niveau général» (le SMIC français se situe à 60% du salaire médian), plus il entraîne d’effets concrets sur celui-ci: aplatissement de la hiérarchie des salaires, obligation de rééchelonner à la hausse pour maintenir cette hiérarchie, ou au contraire phénomène d’attraction et de maintien des salaires au minimum légal. Les 4000 francs par mois revendiqués par les syndicats représenteraient 64% du salaire médian helvétique: à un niveau aussi élevé, un salaire minimum légal ne manquerait pas d’avoir un impact considérable.

Après la lutte contre les riches, la lutte contre les pauvres

Les effets s’en feraient sentir évidemment dans les cantons les moins riches, mais aussi dans un certain nombre de métiers tels que l’agriculture, l’hôtellerie-restauration, les services à la personne. Comment feront les entreprises qui ne pourront pas assurer un tel niveau salarial? Selon leur situation, elles tenteront de réduire leur personnel, de concentrer le travail sur un nombre d’heures plus faible, de délocaliser certaines tâches, d’augmenter certains prix. Autre question plus douloureuse: que feront les travailleurs dont les prestations ne justifient pas un salaire de 4000 francs aux yeux des employeurs? On pense ici à certains jeunes qui débutent leur carrière professionnelle, mais aussi à des personnes sans formation ou traversant une situation personnelle difficile et qui sont satisfaites de trouver des «petits boulots» leur permettant de rester dans le marché du travail. Les syndicats ont-ils conscience que leur initiative, outre qu’elle tirerait vers le bas beaucoup de salaires de la classe moyenne, affecterait principalement des personnes modestes en réduisant fortement leur chance de trouver un travail?

Le salaire minimum légal revendiqué par l’initiative apparaît donc non seulement inacceptable dans son principe, mais aussi insupportable dans ses modalités. Dédaignant le modèle relativement indolore des pays anglo-saxons, qui pallient la faiblesse de leur partenariat social par un salaire minimum très bas accompagné de dérogations pour les jeunes, les syndicats tentent de nous vendre un avatar aggravé du modèle français, conçu pour forcer et niveler la réalité économique au prix de conséquences absurdes.

Une perversion du partenariat social

Les autres dispositions proposées, qui demandent à l’état d’«encourager» les conventions collectives, sont tout aussi pernicieuses. Selon les moyens qui seraient mis en œuvre, on risquerait en effet d’aboutir à de véritables «obligations de négocier» dans certaines branches ou certaines entreprises. Or la négociation forcée n’est pas la meilleure manière d’obtenir des résultats équilibrés et librement acceptés – la liberté étant précisément une condition du partenariat social.

L’initiative soumise au vote se révélerait globalement nuisible pour l’économie helvétique, et les travailleurs modestes seraient les premiers à en souffrir. On peut ajouter qu’une intervention étatique «pour la protection de salaires équitables» n’a aucune raison d’être dans un pays prospère, où les salaires progressent régulièrement, où la proportion des bas salaires est plus faible qu’ailleurs et où les inégalités salariales sont comparativement modérées. Autant de raisons de voter NON.

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