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L’initiative blanche

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1990 4 avril 2014

Le texte de l’initiative populaire Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants est le suivant: «Quiconque est condamné pour avoir porté atteinte à l’intégrité sexuelle d’un enfant ou d’une personne dépendante est définitivement privé du droit d’exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes.»

Cette initiative vient en complément de l’initiative Pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine, lancée par les mêmes milieux de la «Marche blanche» et acceptée en 2008 par le peuple et les cantons: «L’action pénale et la peine pour un acte punissable d’ordre sexuel ou pornographique sur un enfant impubère sont imprescriptibles.»

A première vue, l’initiative est simple et séduisante. On ne peut penser sans dégoût ni fureur aux entraîneurs sportifs, chefs de camps, chefs de chœur, enseignants, ecclésiastiques et animateurs divers qui profitent de leur autorité pour abuser des enfants qui leur sont confiés. Et l’on ne peut que s’effarer de la désinvolture criminelle des responsables qui leur donnent la possibilité de recommencer.

Pour le site LesObservateurs.ch, qui s’est passionnément engagé en faveur de l’initiative, c’est un effet de la révolution des mœurs des années soixante. La pédophilie est une forme extrême de cet égalitarisme qui refuse, comme discriminatoires, tous les interdits sociaux, même les plus manifestement fondés. Il est donc urgent d’opposer à cette perversion en voie de normalisation un bouclier institutionnel sans défaut qui éloigne définitivement le délinquant des enfants.

C’est à la fois juste et faux. Il est vrai que notre société tend à donner la priorité à la volonté humaine sur la nature des choses et aux pulsions individuelles sur les mœurs collectives. Les écrits pédophiliques de M. Daniel Cohn-Bendit, comme sa surprenante impunité, illustrent cette tendance. En ce sens, le droit à la pédophilie est bien l’aboutissement ultime de l’égalitarisme et de la libéralisation.

Mais en même temps, la contrainte morale ou physique que le pédophile exerce sur l’enfant va d’évidence à l’encontre des mêmes principes d’égalité et de liberté individuelle. Il n’y a pas de relation plus inégalitaire et liberticide, plus esclavagiste que l’acte pédophile.

Poussé jusqu’au bout, le principe égalitaire, comme tout principe faux, en arrive nécessairement à se contredire lui-même.

La population en est consciente. Alors que la suppression du chef de famille a laissé tout le monde passif ou approbateur, y compris les églises, alors que l’indifférenciation en matière de nom de famille et l’introduction du partenariat enregistré sont acceptées sans mot dire par la population et que la théorie du gender semble ne pas inquiéter grand monde, les actes du pédophile soulèvent l’indignation générale. Contrairement aux autres délits contre les mœurs, le dispositif pénal contre la pédophilie ne cesse de se renforcer. Preuve en sont l’acceptation de l’initiative de 2008 évoquée plus haut, ainsi que la modification toute récente du droit pénal concernant les crimes et délits commis à l’encontre d’un mineur ou d’une personne dépendante. Cette loi donne au juge la possibilité de prendre toute mesure d’interdiction professionnelle ou de limitation géographique qu’il estime nécessaire.

Mais, et c’est peut-être là le centre du débat, les partisans refusent explicitement de laisser au juge une marge d’appréciation pour les cas limites, pourtant non négligeables comme on le verra plus bas. La réalité est qu’ils ne font plus confiance à la justice. Ils cherchent à établir une justice automatique, une justice qui se passerait de juges. C’est dans le même esprit de justice absolue qu’il faut comprendre le terme «définitivement», qui fait écho à celui d’«imprescriptible» qu’on trouve dans l’initiative de 2008.

un autre reproche fait à l’initiative est que, par son manque de précision quant à la désignation de la victime, elle place dans la même catégorie un pervers qui s’en prend à un enfant de sept ans et un jeune homme de vingt deux ans qui aurait une relation sexuelle avec une jeune fille de quinze ans. Les deux conditions prévues par l’initiative sont en effet réunies: d’une part, la jeune fille est un «enfant» au sens du Code pénal, de l’autre, leur relation est condamnable en vertu de l’art. 187 actuel du Code. Le jeune homme serait donc lui aussi soumis à l’interdiction professionnelle applicable au pédophile.

L’initiative est donc susceptible de frapper une personne d’une mesure grave, entachant de surcroît durablement sa réputation, sous prétexte de l’empêcher de s’adonner à un vice qu’il n’a pas.

Au Conseil national et en d’autres occasions, M. Freysinger a affirmé avec l’énergie qu’on lui connaît que l’initiative ne vise pas cela, et on le croit volontiers. L’ennui, c’est qu’il s’agit d’une initiative rédigée de toutes pièces. Les commentaires du comité d’initiative, qui ne font pas partie du texte soumis au vote, n’ont aucune valeur contraignante pour le législateur.

Le texte de l’initiative, interprété en cohérence avec les dispositions actuelles du Code pénal, concerne bel et bien tous les enfants de moins de seize ans.

En droit, et surtout dans un domaine aussi explosif, il ne suffit pas que le fond soit bon, la précision formelle est essentielle.

A vrai dire, nous ne comprenons pas pourquoi les auteurs de l’initiative n’ont pas mieux précisé leur intention. Ils auraient pu reprendre, dans la ligne de leur précédente initiative, la formule d’«enfant impubère».

Toutes ces réserves, ajoutées au durcissement incontestable du Code pénal voté par les Chambres en décembre 2013, nous empêchent de donner notre appui à l’initiative blanche.

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