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Le goût de Diderot à l’Hermitage

Yves Guignard
La Nation n° 1990 4 avril 2014

Le titre, curieux, est déjà un programme. Diderot, non content d’être à l’origine du «salon» comme genre littéraire, invente une définition de la notion de goût. Le goût dans l’Ancien régime est lié à une communauté nationale: on parle du goût français, du goût allemand, anglais, etc. Le goût individuel n’existe pas. L’individu n’existe pas face à la communauté, sa hiérarchie et, tout au sommet, le roi et Dieu. Or, c’est toute l’histoire des conquêtes des Lumières qui se répercute et résonne dans ce titre d’exposition. Cet hommage à Diderot est donc aussi l’histoire de la naissance du goût individuel, s’affirmant comme tel, en matière d’art. Ainsi on connaît Diderot l’encyclopédiste – activité menée dans le courant des années 1750 –, le pamphlétaire – il est emprisonné en 1749 suite à une publication –, le romancier, le dramaturge, etc. Diderot touche à tout, mais s’il s’est intéressé à la musique et au théâtre, il n’a presque aucune idée de la peinture quand s’interrompt l’aventure de l’encyclopédie pour cause de retrait du soutien royal, de censure et d’acharnement du pape qui met le projet à l’index en 1759. Diderot néanmoins est célèbre et on aime son style. Cette même année 1759, Melchior Grimm demande à Diderot d’écrire sur les salons pour la revue La correspondance littéraire. Le salon, manifestation biennale qui tire son nom du salon carré du Louvre qui l’héberge, est une exposition d’art contemporain (notre ART BASEL à nous) qui fait courir le Tout-Paris puisque les musées, pas plus que les galeries d’art, n’existent alors. La principale occasion de voir des tableaux, c’est le salon, une fois tous les deux ans. Dans une Europe très francophile, tout ce qui se passe à Paris intéresse, en particulier ce qui touche à la culture, et voici ce qui doit nous conduire à parler de la Correspondance littéraire. Cette revue est très spéciale car elle ne compte qu’une quinzaine d’abonnés, qui sont tenus de ne pas la diffuser plus loin. C’est une revue exclusive avec cette particularité d’être livrée sous forme manuscrite. Les quelques privilégiés, qui la reçoivent moyennant un abonnement substantiel, sont des têtes couronnées de régions éloignées, pour la plupart des princes allemands (Hesse-Darmstadt, saxe-Gotha, Nassau-Saarbruck), les rois de suède et de Pologne, l’impératrice de Russie enfin.

Diderot démarre timidement – il découvre les beaux-arts – avant de gagner en assurance. La taille de sa contribution à la revue va être exponentielle jusqu’en 1767 pour décroître progressivement jusqu’à son dernier salon, en 1781. On compte donc neuf salons, dont les plus volumineux font plusieurs centaines de pages (manuscrites, pensez!) de comptes rendus. Pour se faire une idée, aujourd’hui, les salons, publiés dans leur texte intégral, remplissent une demi-douzaine de volumes des éditions Hermann.

Dernier élément crucial à poser pour comprendre le caractère exceptionnel des «salons» de Diderot: le fait qu’ils soient manuscrits leur permet d’échapper complètement à la censure! Le philosophe qui a connu la prison s’est juré à sa sortie de n’y retourner jamais. Ainsi, après les problèmes liés à l’encyclopédie, ce nouveau mandat est une aubaine pour Diderot qui pourra donner le meilleur de lui-même, sans pression, sans freins, sans gêne.

Passée cette mise en place du contexte et des enjeux de l’exposition, qu’en est-il de ce goût de Diderot? Cette question nécessite bien davantage que les quelques lignes à notre disposition ici et une littérature abondante existe sur le sujet. Des audioguides gratuits permettent au visiteur de se faire une bonne idée grâce à des extraits lus par un comédien; la confrontation entre le texte et l’image est alors ravissante. L’exposition, en outre, recèle de vrais trésors, notamment sculpturaux et rarement prêtés par le Louvre, avec des marbres sublimes de Pigalle, Houdon ou Falconet, présentés sans vitrine à l’œil gourmand du visiteur. On ne saurait terminer cette invitation à se rendre à L’Hermitage sans évoquer la cerise (littéralement) sur le gâteau. Au dernier étage, sous les combles, une petite exposition charmante n’a rien à voir avec Diderot, elle présente des tableaux de Bocion et Chavannes déposés à L’Hermitage par un collectionneur privé.

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