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Aventures argentines I

Cosette Benoit
La Nation n° 1990 4 avril 2014

Buenos Aires – Paris latin

Nous sommes le 10 juillet 2013, il fait nuit, deux routardes attendent leur taxi à l’aéroport de Buenos Aires. Il est tard, nous venons de quitter le soleil estival d’Europe pour atterrir à l’autre bout du globe, en hiver, sous une pluie battante. Les treize heures de vol ont été pénibles, nos quelques bribes d’espagnol n’ont pas suffi pour comprendre où nous devions attendre le taxi que nous avions commandé et déjà payé (nous serions-nous fait rouler dès notre arrivée?), nous posons un œil anxieux sur nos sacs et sur les alentours, persuadées d’être bientôt victimes d’un pickpocket. Mais rien de tout cela importe, car on y est: c’est l’aube du grand voyage tant rêvé en Amérique du sud. A nous la route et l’aventure. On est baroudeur ou on ne l’est pas!

Notre hésitation quant à l’emplacement des taxis sert de première aubaine pour entrer en contact avec un séduisant Argentin. Nous l’avons déjà repéré dans l’avion: un bellâtre au regard mélancolique et à la moustache artistiquement travaillée, qui, à notre grande déception, a l’outrecuidance de répondre en anglais à nos requêtes, pourtant adressées en espagnol. Mais voilà le taxi qui arrive, c’est l’essentiel. Une fois à l’abri de l’intempérie dans la voiture, il nous faut encore quarante minutes pour rejoindre notre auberge du centre ville, à deux pas de l’Obélisque. C’est l’occasion de nous habituer à l’accent argentin car notre chauffeur est cordial et prend plaisir à nous parler de la ville. Avec ses treize millions d’habitants, l’agglomération réunit un tiers des habitants du pays et nombreux sont les Porteños (littéralement, les «portuaires», habitants de Buenos Aires) qui ne connaissent rien d’autre que la vie citadine de leur gigantesque capitale. Depuis l’avion, nous avons été impressionnées de contempler cet immense quadrillage de lumières qui s’étend à perte de vue dans toutes les directions.

L’aimable conducteur nous apprend, entre autres choses, que les dollars américains sont très prisés des Argentins, qui ont l’interdiction d’en retirer dans leur pays. L’acquisition de cette monnaie ne peut se faire qu’au noir, à des taux de change avantageux pour les touristes. Il faut toutefois éviter de se laisser prendre au piège des faussaires qui crient à tue-tête dans la rue: ¡cambio, cambio! (change, change!), dès qu’ils voient nos têtes de touristes. A la lueur de la petite lampe de la voiture, le chauffeur nous apprend à distinguer les vrais billets des faux. Reconnaissantes, nous lui échangeons quelques dollars contre la monnaie locale, grisées de participer au marché noir et heureuses de cette première expérience culturelle dépaysante.

Buenos Aires nous laisse une impression mitigée. A notre goût, le prétendu Paris de l’Amérique latine ne vaut pas du tout la célèbre capitale du vieux continent. Nous longeons sans enthousiasme les avenues grisâtres et bruyantes, où les voitures se faufilent sur les nombreuses pistes, les unes entre les autres, à coups de klaxon. Ma co-baroudeuse a bien failli y rester, car quand le feu est vert, le flot automobile redémarre, que les piétons soient à l’abri sur les trottoirs ou au milieu de la route. Slalomant entre les parapluies des Porteños pressés, les déchets et crottes de chiens, les trous béants qui attendent le retour de la belle saison pour que les travaux reprennent et les vastes flaques d’eau (les Argentins ne connaissent apparemment pas les grilles d’évacuation), nous essayons tant bien que mal de lever le nez pour trouver ici ou là un bâtiment qui vaille le coup d’œil. Entre les buildings construits à la va-vite dans une perspective utilitaire et les immeubles en cours de démolition, quelques habitations se distinguent par leur style colonial. Architecturalement parlant, le plus beau quartier est sans conteste celui de San Telmo où résidaient les habitants aisés de la capitale avant que l’épidémie de fièvre jaune des années 1870 ne les fasse fuir dans l’actuel quartier riche de La Recoleta. Vestige de l’opulence de la vieille Buenos Aires coloniale, San Telmo offre des ruelles où il fait bon flâner en admirant les façades, particulièrement lors du marché artisanal dominical. Les vitrines chargées des magasins d’antiquités sont surprenantes pour nous autres européens, nous nous demandons qui peut être susceptible d’acheter ces vieilleries cossues. Mais il faut croire que ces articles au goût douteux trouvent preneur car les boutiques d’antiquaires ne sont pas rares.

Non loin de là s’étend un autre quartier touristique, peuplé d’habitants au porte-monnaie moins garni. Il s’agit de La Boca, lieu de résidence historique des marins. Les maisons en tôle ondulée ont été partiellement recouvertes des restes de peinture des bateaux, donnant une allure colorée, artiste et gaie à ce quartier, berceau du célèbre tango argentin. Les galeries d’artistes non conventionnels, les danseurs de rue, les cafés chaleureux et les échoppes artisanales confèrent une atmosphère délicieusement bohème à cet endroit. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, nous éloignant involontairement des quelques ruelles touristiques, nous nous apercevons vite de l’extrême pauvreté des environs où des familles vivent dans des conditions misérables, parfois même sans électricité! Toutes à nos considérations sociales, nous ne prenons pas tout de suite conscience que nous avons mis les pieds dans un coupe-gorge. Heureusement qu’un habitant du coin nous avertit qu’il est dangereux pour des touristes de se promener dans cet endroit, nous indiquant comment rejoindre des rues plus sûres – autrement dit, moins pauvres.

Après deux jours sous la grisaille de la capitale, nous irons chercher le soleil dans les Andes du nord-ouest. Ce serait néanmoins faire injustice à Buenos Aires que de vous laisser sur l’impression mitigée qui fut la nôtre au premier abord. En effet, avant de rejoindre l’Europe, nous terminerons notre périple en passant encore une semaine dans la métropole, ensoleillée cette fois-ci. Les nombreux musées – notamment d’art –, la diversité des quartiers, tant culturellement que socialement ou encore architecturalement, les multiples marchés, les petites boutiques de créateurs originaux, les nombreux restaurants qui servent l’inégalable bife de lomo (filet de bœuf à l’argentine), les milongas où l’on danse le tango entre les tables du bar… tant de choses nous feront finalement aimer cette ville pleine d’animation et de curiosités où l’art se trouve à chaque coin de rue (marché de récup’, marché artisanal, tags variés, sculptures, groupes de musiques en tous genres, gymnastes, danseurs, etc.). Il fallait laisser au Paris latin le temps de nous charmer. C’est désormais chose faite.

Nous concluons cet article par la cerise sur le gâteau: le festival mondial du tango qui s’est tenu la dernière semaine de notre périple outre-Atlantique. Notre pudeur et notre sérieux nous empêchent de vous décrire la catastrophe que ce fut de voir une Calviniste des montagnes neuchâteloises s’essayer à cette danse sensuelle. Nous sommes certaines d’avoir largement frustré nos pauvres cavaliers! Nous avons donc plutôt opté pour une immersion passive dans le tango, en assistant aux divers concerts, spectacles, et milongas. Il nous est apparu que le tango était une véritable émanation du peuple argentin. Métissage entre les danses des esclaves noirs et les danses européennes, il est métaphore de ce pays issu d’un mélange étonnant de cultures. Il est à l’image des Argentins: généreux, spontané, sanguin, passionné, sensuel et mélancolique, fait de réappropriations d’anciennes traditions et d’apports innovants.

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