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Les Jeunesses doivent-elles rembourser les services de l’Etat?

Félicien Monnier
La Nation n° 1990 4 avril 2014

24 heures l’a récemment révélé, les Jeunesses campagnardes doivent payer près de cent mille francs pour les services de la police vaudoise durant leur Fête cantonale 2013. La «loi du 19 mars 2013 sur la facturation des prestations matérielles fournies par les services de l’Etat lors des manifestations», entrée en vigueur le 1er juillet 2013, est en cause.

Le principe est de facturer à leurs bénéficiaires les prestations matérielles de l’Etat en matière de sécurité. Le cas se présentera principalement lorsque la police est mise à disposition. Ainsi en va-t-il, par exemple, pour ouvrir une course cycliste, fermer une route et même, semble-t-il, lorsque la police doit intervenir au nom de la force publique.

Le Conseil d’Etat est chargé de rendre une ordonnance d’application. Ce règlement se fait sérieusement attendre. Une directive administrative aux origines politiques peu claires s’applique aujourd’hui.

Cette dernière fixe le mode de facturation. Perfectible au niveau du principe, le système a l’avantage d’être pragmatique. Ainsi, la première étape est l’établissement de la facture totale des prestations administratives. Dans un second temps, la facture est diminuée en fonction de cinq critères: les risques pour la sécurité que représente la manifestation, la solidité financière de l’organisateur (en gros sa richesse), l’impact économique et symbolique pour le Canton, le but de la manifestation selon qu’il est lucratif ou non, et enfin les efforts financiers déjà consentis pour la sécurité. On totalise puis on discute. Cette conception n’est pas sans danger. Le jour où l’on ne voudra plus discuter, pour une quelconque raison financière ou idéologique, il ne restera plus que la comptabilisation. Ce risque devra être éloigné le plus loin possible.

Thierry Meyer l’a excellemment relevé dans ses colonnes: la société n’est pas un bilan comptable formant des lignes au budget de l’Etat. La facturation d’une partie des coûts de l’Etat ne doit pas mettre une manifestation populaire en péril.

La loi prévoit des moyens d’échapper à la facturation. Un premier concerne les manifestations politiques autorisées. Il s’agit bien entendu des meetings et autres défilés revendicatifs. La loi ne s’applique pas à ce type d’événements. Un autre moyen est d’être considéré comme «organisateur d’une manifestation présentant un intérêt particulier pour le Canton, ou pour lesquelles une exonération se justifie en opportunité». Cette heureuse exception prouve que le dialogue est ouvert.

Mme Métraux a de plus affirmé qu’il ne s’agissait pas d’étouffer financièrement les organisateurs de manifestations.

L’activité des services de l’Etat, en particulier la police, occasionne incontestablement des coûts. Une grande manifestation populaire bouleverse, dans une certaine mesure, l’ordinaire de l’administration. Si les impôts permettent d’assurer l’ordinaire, affirmeront les auteurs de la loi, le paiement des coûts de l’extraordinaire doit revenir aux organisateurs. Il convient toutefois de définir l’ordinaire.

La vie des vaudois n’est pas faite que de M2-boulot-dodo. Le Canton a une vie riche et diverse. Il foisonne de milliers d’associations. Elles sont des acteurs centraux du dynamisme économique du Canton et, avant tout, du bonheur de nos concitoyens.

L’exemple des Jeunesses campagnardes est éloquent. Le site internet tout à fait officiel du «patrimoine immatériel vaudois»1 rappelle notamment que «les fêtes des Jeunesses campagnardes représentent un mouvement spécialement important dans le canton de Vaud.»

Les Jeunesses sont l’un des ciments politiques du Canton. Entendons le mot «politique» au sens plein et non partisan. La Fédération vaudoise des Jeunesses campagnardes (FVJC, ou Fédé) forge des réseaux d’amitié durables. La richesse de ses activités, éparpillées sur tout le territoire, lui donne une place prépondérante dans les loisirs des jeunes vaudois. L’engagement qu’une société de jeunesse attend de ses membres est impressionnant. On y distille le sens des responsabilités, du travail et de l’organisation. Les Jeunesses campagnardes sont bien plus qu’un organisme festif. Décalque du Canton, on y retrouve ce qui fait la vie quotidienne de beaucoup de nos concitoyens. Sans elles, le Pays de Vaud ne serait pas le même.

Il en va de même des autres grandes associations faîtières, pour ne citer qu’elles: les chanteurs, les tireurs, les musiciens ou les gymnastes, sans compter les footballeurs, les scouts, les cyclistes…

Ne défendons pas une conception erronée de l’Etat. L’Etat de Vaud est le prolongement institutionnel de la communauté vaudoise, formée entre autres de toutes ces associations et de leurs activités. Son rôle est de garantir la vie sociale du Canton. Il est responsable d’assurer les conditions de la liberté des citoyens. Les impôts doivent avant tout lui permettre de remplir cette fonction. La sécurité est l’un des piliers centraux de cette conception. L’administration est au service du Canton. L’inverse n’est pas valable, du moins tant qu’aucun désordre n’est à déplorer.

Dès lors, l’ordinaire vaudois contient la Cantonale des Jeunesses, le Tir cantonal, les matchs du LHC ou encore les Brandons de Payerne. Ces opérations, parmi d’autres, doivent être soutenues. Mais il faut prendre garde. Veillons à ne pas augmenter les tracasseries déjà courantes: formulaires de plus en plus nombreux à remplir, multiples autorisations à requérir, documents à rassembler, garanties à fournir. Certes elles découragent plus qu’elles n’empêchent. Mais elles poussent certaines associations à se professionnaliser, ou à compter sur les plus professionnels de leurs amateurs. Si le soutien de l’Etat devient trop coûteux, l’ensemble du tissu associatif vaudois sera mis en danger.

Le Conseil d’Etat va bientôt statuer sur les premiers cas d’application et rendra son règlement par la suite. Il doit être attentif à l’ensemble de la problématique associative. Il convient qu’il élabore une procédure la plus simple possible, faite avant tout de contacts personnels. Il faut que les organisateurs de manifestations puissent prévoir au mieux les dépenses qu’ils auront à supporter. De même, la paperasse doit être limitée au minimum archivistique. Eviter les surprises passe probablement par des discussions préalables avec les services de l’Etat.

L’exonération des manifestations politiques impose une ultime remarque. Les manifestations politiques, même autorisées, dégénèrent facilement. Des casseurs se joignent souvent à de gentils socialistes défilant la rose au vent. Le caractère politique d’une manifestation ne lui donne pas sa vertu, encore moins lorsqu’elle est organisée par un parti. Nous n’expliquons cette inégalité dans l’exonération autrement que par la nécessité de garantir la constitutionnelle liberté d’expression.

Demandons-nous dès lors simplement si, au nom d’une tout aussi légitime liberté d’association, les manifestations populaires à but non lucratif, telles que la Cantonale, ne devraient pas également bénéficier d’un même régime de gratuité. N’oublions pas que les idées politiques comptent moins que les associations qui font le Pays.

Notes:

1 www.patrimoine.vd.ch 

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