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Identité vaudoise

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2007 12 décembre 2014

Les lignes d’Amiel sur les Vaudois, citées dans la dernière Nation, en auront irrité plus d’un, dont le soussigné. Dépourvu, sinon de lettres et d’esprit, du moins du minimum d’empathie requis pour bien parler d’autrui, l’écrivain genevois identifie le Vaudois à une sorte de paysan endimanché mal dans sa peau, qui joue les finauds sans en avoir les moyens.

C’est vrai que le Vaudois déteste les affrontements personnels, parfois au point de ne pas répondre alors même qu’il pense avoir raison. C’est vrai qu’il recourt constamment à l’ironie, à la litote, à l’hyperbole et à la réticence1, toutes figures lui permettant d’atterrir en douceur sur le sol rugueux de la réalité.

Le citadin Amiel fait preuve de peu de finesse en ne distinguant pas, sous la surface, cette subtile rhétorique de mise à distance du mot et de la chose, qui dit l’essentiel en demi-teinte, en filigrane, en creux.

L’indétermination propre au Vaudois offre certes une vaste palette de comportements possibles, y compris le pire, une autodérision paralysante, une complaisance vaniteuse envers ses faiblesses, un abaissement volontaire au niveau des «vaudoiseries»2. Elle peut aussi, par réaction, susciter une volonté de précision intellectuelle, de netteté dans les prises de position, d’action concertée dans le long terme. C’est une telle volonté qui anime notre mouvement, depuis bientôt nonante ans.

Le refus du conflit peut déboucher sur un relativisme intellectuel débilitant, contestant tout énoncé de principe comme attentatoire à la liberté de l’interlocuteur. Mais il peut aussi se transformer en une capacité de discerner, plus finement que ne le ferait le ressortissant d’un peuple sûr de lui, ce qui est juste dans la position de son adversaire et discutable dans la sienne; de raisonner en donnant droit aux ombres et aux incertitudes objectives des choses et des événements; de ne pas hésiter, parfois, à ne pas conclure d’une façon claire et distincte; en un mot, de chercher la vérité la plus complète tout en préservant aussi loin que possible la paix avec son vis-à-vis.

Le respect excessif de l’Etat, autre trait du Vaudois, rend celui-ci particulièrement attentif aux mécanismes du pouvoir et lui inspire parfois des trouvailles institutionnelles propres à contenir d’elles-mêmes les excès du pouvoir.

Etre vaudois, au-delà de ces traits psychologiques auxquels on réduit trop souvent l’identité des peuples, c’est aussi n’en avoir jamais assez de connaître son pays. La connaissance affine, étend et approfondit l’empreinte de l’identité collective sur la personne. Cela me renforce de sentir la cohérence des chemins et des routes, de savoir quelle vallée invisible s’étend derrière telle montagne, de garder en mémoire les églises, les restaurants, les gares, de sentir l’histoire – ancienne et récente – à l’œuvre dans le dessin complexe des frontières, dans l’architecture des châteaux, des habitations, des rues.

C’est vrai pour le Vaudois de vieille souche, ça l’est plus encore pour l’étranger installé. Je me suis senti en étonnante communion avec un écolier kosovar que j’ai vu identifier les armoiries de Marnand et situer sans problème la commune de Mauraz. Membre d’une société de lutte, il parcourait le Canton au fil des rencontres, acquérant une connaissance enviable du Pays. L’assimilation était en route, la culture suivrait.

L’identité collective vaudoise, c’est aussi une participation à l’aventure séculaire de familles attachées à ce territoire qu’elles ont modelé, construit, habité et cultivé, qu’elles ont abîmé aussi, comme partout.

Cela est vrai pour n’importe quelle identité nationale. Et nous nous garderons bien de ne voir, dans la République et canton de Genève, qu’un réservoir d’individus gouailleurs et forts en gueule, réglant les problèmes de la paix dans le monde tout en sabordant méthodiquement, par leur esprit indéfiniment querelleur, les réalisations publiques dont ils ont le plus urgent besoin.

L’identité vaudoise, c’est enfin une sédimentation d’une incroyable richesse, dont les historiens ne cessent de découvrir de nouvelles strates, grandes figures d’Eglise ou d’Etat, écrivains et artistes, institutions originales, luttes et sacrifices pour l’indépendance. Etre vaudois, c’est se reconnaître dépendant de ce fond de géologie et d’archéologie humaine qui nous maintient, même les plus médiocres d’entre nous, au-dessus de la barbarie.

On pardonnera toutes ses faiblesses et ses manques à un Vaudois qui s’efforce de maintenir et de transmettre cette réalité non seulement psychologique, mais historique et politique. C’est dans cet esprit que notre journal s’appelle La Nation, plutôt que Région romande ou Le Sud-Ouest helvétique.

Notes:

1 Sans parler de l’euphémisme ou de l’épanorthose…

2 «J’ai aguillé la panosse sur la berclure»: le lourdaud qui pense faire preuve d’authenticité en empilant des termes vaudois fait preuve en réalité d’un académisme qui oublie que le parler vaudois est composé d’autant de silences que de sons, d’intonations amusées qui balancent les mots, de mimiques qui les modulent, de gestes qui les brident.

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