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Lausanne n’aura pas son «Routard»? La belle affaire

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2007 12 décembre 2014

M. Philippe Gloaguen, fondateur, rédacteur et directeur des fameux Guides du Routard, a infligé un camouflet aux Lausannois en affirmant que leur cité ne méritait pas une édition particulière, faute d’une offre culturelle suffisante: il y aurait de quoi remplir à peine une quarantaine de pages! Or Genève aura son édition. Plus de culture, plus de monuments que notre capitale? Il ne s’agit pas de cela: la Ville et l’Office du tourisme ont subventionné la publication à hauteur de 107 000 francs. Car n’oublions pas que M. Gloaguen, sous ses airs bonasses de vieux soixante-huitard rondouillard, est aussi un homme d’affaires avisé, qui a su occuper en son temps un créneau éditorial vacant.

Autrefois, il y avait deux guides: le Guide Bleu, très culturel, et le Michelin vert, orienté «sites et monuments». Le coup de génie de M. Gloaguen est d’avoir proposé, dans les années 70 du siècle passé, un concept adapté à la génération Katmandou qui voyageait sans le sou, cherchant aventure et fumant des joints. Les lecteurs du début sont restés fidèles mais ils ont troqué leur sac à dos contre une valise Samsonite et volent désormais avec Easy Jet vers des destinations sûres. Le Guide est là pour leur recommander de bonnes chaussures, une gourde et un chapeau pour se balader dans les montagnes de la Réunion. Et attention à ne pas oublier la crème solaire et la casquette entre 11h et 15h sur les plages de l’île Maurice!

Si le guide a évolué avec son lectorat, il a conservé une présentation austère sans illustrations, un papier médiocre. Au fil du temps, le style rédactionnel s’est lissé en abandonnant progressivement le genre copain copain horripilant. Mais on tombe encore çà et là sur des tournures faussement désinvoltes si caractéristiques des tics originels: un nobliau du XIe siècle catalan est désigné comme «un zig du coin». On croit faire de la pédagogie amusante en abordant de manière idiote des sujets sérieux: «La mère de Roger Bernard II de Foix est cathare et même “parfaite“. Non pas qu’elle ait un physique irréprochable à la Claudia Schiffer de l’époque, mais elle a reçu le consolamentum, le baptême de l’esprit à la mode cathare. Damned.» Quand même, le Michelin est plus digne.

Le pire du Routard, c’est sa morale gnangnan. Devenu une grande entreprise qui participe à la destruction de la planète par le tourisme comme n’importe quelle agence de voyage, il continue à militer depuis quarante ans pour l’écologie, le tiers-mondisme, le développement durable, les droits de l’homme. Il déteste les méchants dictateurs: «L’impunité, espèce en voie d’arrestation.» L’ombre toujours redoutée d’une croix gammée (qui-rappelle-les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire) lui donne l’occasion de manifester à la face du monde son courage, sa détermination, son refus du compromis: rappelez-vous la couverture grise du guide Autriche, en signe de protestation, lors de l’élection de Kurt Waldheim à la présidence de la République.

Le sieur Gloaguen jure croix de bois croix de fer que l’indépendance rédactionnelle du guide Genève, subventionné à 60% par des fonds publics, est totale. Nous pensons que les autorités lausannoises sont fort sages de ne pas donner de sous à ce personnage arrogant et cupide. L’argent ainsi économisé pourra servir à effacer les tags, à restaurer les toilettes publiques, à nettoyer les secteurs qui puent l’urine, à décoller les chewing gums, afin d’accueillir honorablement nos visiteurs.

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