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AVS: longue vie et courte vue

Jean-François Cavin
La Nation n° 2007 12 décembre 2014

«Le premier homme qui vivra mille ans est peut-être déjà né», hasarde un futurologue français. Plus mesuré, le Dr Laurent Alexandre1, qui donnait récemment une conférence à Lausanne sous les auspices du Crédit suisse, n’exclut pas que l’existence normale de l’animal humain se prolonge de plusieurs décennies au cours du XXIe siècle. Certes les actuaires suisses qui scrutent les tables de mortalité de nos caisses de retraite constatent plutôt un tassement de la longévité; mais les octogénaires d’aujourd’hui n’ont guère bénéficié de l’explosion du savoir et des techniques intervenue depuis une dizaine d’années, dans quatre domaines dont la conjonction promet une véritable révolution: la thérapie génique qui introduit dans notre ADN des agents réparateurs ou sur-performants; la nanotechnologie qui place dans notre corps de minuscules robots capables de surveiller et d’améliorer l’hygiène cellulaire; la technique informatique à la puissance démultipliée qui autorise des analyses dont on n’osait pas rêver il y a vingt ans; les sciences cognitives qui développent l’intelligence artificielle. Cette prodigieuse boîte à outils du futur – un futur qui a déjà commencé – permettra par exemple d’implanter dans notre corps toutes sortes de «pièces de rechange» inconnues aujourd’hui, remplaçant les parties usées ou déficientes de l’organisme.

Cette perspective pose de redoutables défis éthiques, psychologiques, politiques, sociaux. Et économiques: comment financer la survie des cent-trentenaires (restons prudents) de l’avenir prévisible? Il faudra bien sûr que chacun travaille plus longtemps, l’aptitude au labeur s’allongeant aussi.

Face à ces hypothèses peut-être vertigineuses, mais nullement farfelues, la réforme de la prévoyance-vieillesse concoctée par le conseiller fédéral Alain Berset est d’une tragique insuffisance. Car il s’agit d’un gros morceau législatif, si gros qu’on ne remettra pas l’ouvrage sur le métier avant bien des lustres, et qu’il faudrait donc voir loin. Cette réforme est certes reçue avec beaucoup de bienveillance dans les médias grand public, tant est grande la faveur dont jouit le plus lisse des conseillers fédéraux. Mais elle constitue au mieux un exercice d’équilibrisme entre la gauche modérée et la gauche plus à gauche.

On célèbre l’idée prétendument géniale de traiter ensemble une révision de la prévoyance d’Etat (l’AVS) et de la prévoyance professionnelle (les caisses de pensions). Nous n’avons rien contre cette manière de faire, mais il faut bien constater que les mesures envisagées de part et d’autres sont sans lien matériel. Les retouches apportées à l’AVS et la modification de son financement n’ont rien à voir avec la baisse du taux de conversion et la diminution de la «déduction de coordination» (la première tranche de salaire non soumise à la cotisation obligatoire de prévoyance professionnelle).

On vante encore l’équilibre des sacrifices demandés aux femmes dont l’âge de la retraite standard est enfin rétabli à 65 ans (comme en 1948!), aux indépendants qui perdent leur rabais sur la cotisation, aux rentiers qui ne seraient plus au bénéfice d’une indexation si le fonds de réserve se vide et aux contribuables qui supporteraient une aggravation de la TVA – c’est la mesure financièrement la plus importante, et de loin.

Voilà donc le trait de génie de M. Berset. Au lieu d’élever l’âge de la retraite pour tous, très graduellement pour ne brusquer aucun futur rentier (par exemple un mois chaque année depuis 2020, car on opère sur le très long terme), il se tourne vers l’impôt, comme tout bon vieux socialiste pour qui la solution de tous les problèmes réside dans le trésor public. L’homme qui vivra deux cents ans n’est peut-être pas encore né, mais la TVA augmentée d’un cinquième au moins est bien là, pour l’éternité.

Notes:

1 On peut se référer à l’ouvrage du Dr Laurent Alexandre, La mort de la mort, éd. JCLattès, 2014, 425 p.

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