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Notre langage

Jean-François Cavin
La Nation n° 2021 26 juin 2015

Bernard Gloor nous surprendra toujours. Licencié HEC, après quelques années dans l’économie privée, il se tourne vers l’enseignement. Il devient directeur du collège d’Orbe. Cependant, il œuvre volontiers comme cuisinier, sans craindre d’avoir à régaler plusieurs dizaines de convives. Parvenu à la retraite, il reprend des études, en faculté des Lettres cette fois-ci; il en devient gradué vers la septantaine. Et maintenant, en ami du patois qui honore ses racines dzorataises, il publie un gros ouvrage: Langage des Vaudois, mots et expressions, qui recense les particularismes de notre parler.

Il existe plusieurs dictionnaires du patois, à commencer par le Glossaire du doyen Bridel (1866), qui ne se limite d’ailleurs pas au patois vaudois. On peut s’instruire du patois de Blonay grâce à Louise Odin, du langage combier grâce à Charles-Hector Nicole, du vocabulaire du Pays-d’Enhaut grâce au travail de trois classes de Château- d’Oex; le petit dictionnaire d’Albert Chessex et Ernest Schülé n’est proposé que dans le sens français- patois; l’ouvrage peut-être le plus complet semble être celui de Frédéric Duboux (1981, rééd. 2006).

Mais le propos de Bernard Gloor est différent. Il recueille des mots entrés dans le langage courant – franco- vaudois si l’on peut dire – des XIXe et XXe siècles (et probablement du XXIe), propres à notre parler et qu’on ne trouve pratiquement pas dans les dictionnaires français; et il «met en scène» ce vocabulaire grâce à d’abondantes citations d’auteurs tels que Juste et Urbain Olivier, Alfred Cérésole, Paul Budry, Samuel Chevallier et bien d’autres.

Beaucoup de ces mots proviennent du patois et, bien que francisés, conservent leur saveur d’origine. Ainsi sort-on rengoumé d’une puissante fregatse. Mais d’autres termes du langage vaudois trouvent leur origine ailleurs et n’ont pas nécessairement une consonance franco-provençale: la croise de l’œuf pour la coquille, le bricelet (venu probablement de Bretzeli), le crochon (que le dictionnaire français connaît seulement comme un phénomène géologique). «Donnem’en une brique», pour dire «un peu», c’est de chez nous; et il m’a fallu du temps, adolescent, pour comprendre ce que voulait, dans les films noirs des années cinquante, le malfrat qui réclamait trois briques à son complice. Le grabeau, qu’on trouve chez Rabelais avec «grabeler» (passer au crible), a disparu du langage hexagonal. Le pignouf de la province française (apprenti cordonnier puis goujat) a changé d’orthographe et de sens en venant ici: le pignoufle est un imbécile. Et si vous dites outre-Jura qu’il est temps de se réduire, votre interlocuteur se demandera comment diable rapetisser, alors que vous voulez tout bonnement rentrer et vous mettre au lit.

Voilà un échantillon. Dans le livre de Bernard Gloor, il y a plus de quatre mille mots et expressions, certains presque oubliés, d’autres si courants qu’on ne les considère nullement comme des spécialités du Pays. Vous les dégusterez par petites doses avec beaucoup de bonheur.

Notes:

Bernard Gloor, Langage des Vaudois, mots et expressions, 320 p., éd. Cabédita 2015.

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