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Performants performeurs

Jacques Perrin
La Nation n° 2021 26 juin 2015

Dans le Temps du 23 mai était glissé le programme du Théâtre de Vidy (67 pages bien tassées).

Tout commence par une mise en condition. Visiblement, M. Vincent Baudriller, directeur, est Charlie:

Force est de constater que l’intolérance semble être à nouveau une valeur politique et idéologique en hausse. Certes, les mobilisations qui ont suivi les attentats de Paris, Copenhague et Tunis ont rappelé récemment (et brièvement?) les idéaux du vivre-ensemble par–delà les différences. Mais ceux-ci sont mis à mal par la montée des mouvements populistes et xénophobes en Europe et les violences meurtrières des intégrismes religieux.

Vincent expédie aussitôt les ordres de marche. Une foule de performeurs est convoquée à la rescousse, car les enjeux de notre rencontre avec l’autre se rappellent à nous avec une criante nécessité.

La rebellitude subventionnée se dresse.

Elle saisira la bête immonde par les serpents qui lui servent de cheveux.

* * *

Frank Van Laecke et Alain Patel vont donc raconter la solitude d’un tromboniste âgé qui souffre de ne plus pouvoir jouer de son instrument. Frank Van Laecke a déjà monté «Regarde maman, je danse », un monologue en collaboration avec la transsexuelle Vanessa van Durme. La danse-théâtre d’Alain Patel, ancrée dans la solidarité, accueille sur scène toutes sortes de faiblesses psychiques ou sociales, de marginalités, pour en tirer de la beauté.

Simon Mc Burney et sa troupe Complicite jouent «the Encounter»: Les membres de Complicite sont des contrebandiers qui ignorent les frontières, ou du moins qui les franchissent sans documents officiels.

Karim Bel Kacem et ses collaborateurs ont construit une boîte dans laquelle sont enfermés des comédiens que les spectateurs observent de l’extérieur et entendent grâce à des casques audio. Karim Bel Kacem met en scène «Anéantis», première pièce de Sarah Kane, dramaturge anglaise surdouée, qui s’est suicidée à l’âge de 28 ans. Ecrite au moment de la guerre en Bosnie, «Anéantis» a fait l’effet d’une bombe en 1995: on bascule d’un coup de l’intimité dramatique d’un couple à une insoutenable scène de guerre. Le style de Sarah Kane est extraordinaire: elle a coupé, coupé et encore coupé dans son texte pour exprimer des situations de violence pure.

La performeuse Angélica Liddell va s’enfermer dans une boîte transparente emplie de ruches au risque de se faire piquer alors qu’elle est allergique à ce venin. Et ses spectacles vont au-delà de toutes les pudeurs, de toutes les médiocrités, comme pour chercher une innocence.

«Clôture de l’amour », de Pascal Rambert, est le plus puissant et le plus dialogué des dialogues, alors qu’il s’agit de deux monologues accolés. D’abord un homme qui parle, longtemps, puis une femme qui répond, longtemps. Pascal Rambert se brûle, il va vite […], il se fonde de plus en plus sur le théâtre comme expérience d’un non-savoir.

Magali Tosato pense qu’on a tendance à performer la subversion. Au coeur du projet «Home-Made», il y a la perte de réalité, la déconstruction de l’identité. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre pourquoi un mâle hétérosexuel blanc et riche, qui a toutes les cartes en main, ne peut pas les utiliser.

Dans «Possible Impossible Maison », le collectif anglais Forced Entertainement met à profit son immense liberté dans le tricotage des codes de la narration et dans la transgression des systèmes clos. C’est drôle. Le récit se bricole au fur et à mesure qu’un pas-très-effrayant-fantôme, une souris bavarde, des oiseaux autoritaires, surgissent de nulle part.

Romeo Castellucci nous met à l’origine du mot, à l’origine du monde, face à des non-nés, face à des déjà-nés, heurtant frontalement nos habitudes de théâtre […] Un gigantesque portrait du Christ d’Antonello da Messina surplombe une scène scatologique et réaliste: on y voit un fils prenant soin de son père très âgé, en pleine crise de dysenterie.

«El triunfo de La Libertad» est une pièce pour la scène, textuelle et lumineuse, sans interprète, déposée dans un théâtre pour questionner les attentes du spectateur, la narration et l’absence- présence des interprètes.

«Untitled_I will be there when you die» invite quatre jongleurs sur le plateau pour faire voler des massues pendant une heure […], une manière de voir l’art du jonglage comme un exercice métaphysique.

Pippo Delbono va créer une musique, croisée avec des mélodies sacrées, pour composer une messe laïque qui mêlera le rire, le dérisoire, le mélo, la tendresse, le respect. Qui puisera aussi dans une autre foi: le communisme.

Krzysztof Warlikowski empoigne des sujets forts, des sujets pour mordre et pour griffer. Il s’intéresse à l’intime, à la sexualité, à l’antisémitisme.

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Si nous ne fréquentons pas assidûment Vidy de septembre 2015 à juin 2016, c’est à désespérer de notre ouverture à l’Autre…

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