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Jacques Perrin
La Nation n° 2257 12 juillet 2024

C’est un homme à face de Viking légèrement empâté. Il est né en 1959 sur la côte Ouest de la Norvège, enraciné dans une région de marins, de pêcheurs et de petits agriculteurs. Il dit: J’ai une vie avec des gens qui sont proches de moi, mon paysage est Strandebarm, je suis lié à un petit village sur la rive du Hardangerfjord. Ce sera toujours mon paysage, mon univers, même si je n’habite plus là depuis 40 ans. La langue qu’il écrit est le néo-norvégien (nynorsk), il se sent chez lui dans cette langue.

Il a sept ans quand une artère sectionnée accidentellement l’expose à une mort imminente; il se voit soudain comme de l’extérieur dans la voiture qui l’emmène chez le médecin. La nature et lui-même sont enveloppés dans un nuage doré. Il se sent submergé par la beauté, éprouve un sentiment de paix dans cet éclat d’or. Cette expérience, qu’il considèrera plus tard comme mystique, l’a marqué. N’a-t-il pas découvert une vérité spirituelle?

Ses parents sont croyants. A la maison, on lit la Bible et on récite des prières.

Au collège, un professeur lui demande de lire à haute voix. Terrorisé, il s’enfuit de la classe; il sera dispensé de cet exercice. Durant quelque temps, il ne pense qu’à jouer de la guitare. Il est habile, mais juge lui-même son niveau insuffisant. Il se met alors à écrire des poèmes, de petits récits. Il reprend possession du langage par l’écriture, qui lui procure un sentiment de sécurité dont l’obligation de lire devant un public l’avait privé. La langue parlée, qui sert à communiquer, lui déplaît. Il préfère la langue écrite qui donne un sens à ce qu’il vit. Quant à la poésie, elle lui permet de communier avec les gens et les choses. Le plus important dans la vie ne se dit pas, ça s’écrit.

Notre Norvégien étudie ensuite la littérature comparée et la philosophie, notamment Heidegger et Wittgenstein, selon lui des philosophes poètes, qui le conduiront plus tard à… saint Thomas d’Aquin.

En 1983, il publie son premier roman, intitulé Rouge, noir. L’auteur est un jeune homme à part, qui n’occupera jamais un emploi digne de ce nom. Chaque matin au réveil, il vomit d’angoisse. Alors il se met à écrire et dès qu’il a commencé, l’écriture prend le dessus sur l’inquiétude et la mélancolie. En écrivant, il ne veut pas «s’exprimer», mais pénétrer la réalité véritable, au-delà de l’idéologie ambiante.

Son but est de sortir de lui-même, pour découvrir le lieu où l’angoisse cesse d’exister. Où se trouve-t-il, ce lieu?

A 16 ans, l’adolescent a écrit à son pasteur pour lui annoncer qu’il quitte l’Eglise luthérienne d’Etat à laquelle il appartient. L’ambiance des paroisses de campagne lui semble «inauthentique». Il fréquente un temps les assemblées silencieuses des quakers, établis en Norvège depuis le XIXe siècle, à l’origine dissidents de l’anglicanisme, puis protestants extrémistes, sans prêtres, sans sacrements, sans hiérarchie.

Entre vingt et trente ans, un peu gauchiste, objecteur de conscience, il écrit et vit de petits boulots. Il boit beaucoup de whisky, de vodka et de vin rouge pour se donner du courage. Il dit: Je suis, honnêtement, très reconnaissant à l’alcool, car jamais je n’aurais réussi à faire dans la vie ce que j’ai fait, s’il n’y avait pas eu l’alcool. Compte tenu de la retenue de l’âme norvégienne, en bien comme en mal, je crois que la Norvège s’arrêterait presque si l’alcool disparaissait. Un jour il s’effondre sur un trottoir. On le conduit à l’hôpital. Au terme d’un long traitement, il ne boira plus une goutte d’alcool. Cependant il ne renonce pas à la fumée, par esprit de contradiction, opposé qu’il est aux campagnes de harcèlement, dit-il, organisées par l’Etat norvégien contre les fumeurs1.

Pour compenser l’alcool, il lit énormément. Quand il atteint la quarantaine, ses pièces de théâtre ont du succès et rapportent de l’argent. Il écrit: J’avoue que cette attitude aristocratique qui consiste à être artiste et que j’ai toujours eue, si tout le monde pensait ainsi, rendrait toute société impensable. Il y a quelque chose d’aristocratique chez les gens modestes dont je suis issu et auxquels, au fond, j’appartiens encore.

En 2013, âgé de 54 ans, il se convertit au catholicisme. J’étais croyant à ma façon, dit-il, longtemps avant de me convertir. Je me reconnais officiellement comme chrétien, comme catholique. Je reconnais une théologie, des dogmes qui ne me posent aucun problème dans la plupart des domaines. Oui, j’ai même lu à fond l’énorme Catéchisme catholique!

A ce jour, l’homme dont nous avons esquissé le portrait a écrit une trentaine de pièces de théâtre et dix-neuf romans traduits en de multiples langues, huit recueils de poèmes, deux essais et des contes pour enfants. On lui a décerné le Prix Nobel de littérature en 2023, il s’appelle Jon Fosse. Nous n’avions pas lu une ligne de cet auteur avant de tomber sur Le mystère de la foi2, livre d’entretiens accordés à un ancien pasteur de l’Eglise norvégienne lui-même converti, Erskil Skeldal, et consacrés à l’itinéraire spirituel de l’écrivain.

Nous y reviendrons.

Notes:

1   En 2023, il ajoute: «L’Europe, c’est la diversité, de toutes les façons imaginables, tandis que l’UE est, sinon simpliste, en tout cas uniformisée en un seul sens – quelqu’un en une position centrale va décider que les gens qui le voudraient n’auront pas le droit de chiquer du tabac. C’est révoltant. Que ce soit le pouvoir financier aux manettes ou la bureaucratie politique, cela me fait horreur. Je suis à fond pour l’Europe, donc je suis contre l’UE.»

2     Editions Artège, 2024.

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