Actualité sans intérêt et couteaux sans couteaux
L’actualité, en ce moment, déborde de sujets extraordinairement dépourvus du moindre intérêt, qu’il s’agisse du football (bienheureux ceux qui habitent à l’écart des centres-villes), des élections françaises (qui ne sont qu’un déferlement perpétuel de haine au nom de la fraternité), des élections britanniques (compliquées à comprendre, comme tout ce qui est britannique), des élections américaines (superproduction hollywoodienne sur fond de guerre mondiale), de toutes les élections en général, des polémiques sur le futur horaire des CFF, des chiens et chats écrasés, de la vie des influenceuses, ou du retour de la prohibition (dans nos assiettes et sur nos routes, notamment, avec la bénédiction molle de masses populaires amorphes). Cette prolifération de sujets dignes de désintérêt est assez habituelle lorsque l’été arrive; mais cela se remarque particulièrement cette année parce que, précisément, l’arrivée de l’été ne saute pas aux yeux. Et même cette météo relativement inhabituelle ne suffit pas non plus à constituer un sujet intéressant (l’été 2023 était chaud, le réchauffement climatique était incontestable; l’été 2024 est frisquet et pluvieux, le dérèglement climatique est incontestable; l’homme sage s’abstient de brocarder ce qui apparaît incontestable aux yeux du monde).
De fait, il n’y a rien dans l’actualité qui puisse inspirer la présente chronique et il est nécessaire de remonter environ deux mois en arrière pour trouver une information qui sorte un peu de l’ordinaire – par exemple quand le patron de l’entreprise suisse Victorinox a laissé entendre qu’il envisageait de fabriquer des couteaux suisses sans lame, pour les vendre dans des pays où il est déconseillé voire interdit de posséder un couteau. Curieusement on ne parle pas ici de la Suisse – pourtant pionnière dans les interdictions et les «désidentifications» en tout genre – mais ça viendra sûrement. Après les steaks sans viande, les boissons sans sucre, les toilettes sans genre, les villes sans voiture et les voitures sans conducteur, pourquoi pas les couteaux sans lame? On les tiendra toujours par le manche – jusqu’à ce qu’une loi fédérale exige qu’ils ne possèdent pas de manche non plus. Il faudra aussi y supprimer les autres outils dangereux, ciseaux, poinçons et tournevis, et bien sûr le tire-bouchon pour éviter tout abus d’alcool – à moins qu’on ait généralisé d’ici là le vin sans alcool. Fini également les ouvre-bouteilles, pour des raisons évidentes de promotion de la santé. Lorsqu’on aura encore supprimé les deux faces en plastique (pensez aux océans) ainsi que la croix suisse (sur injonction de la coprésidente des femmes socialistes suisses), on aura alors un exemple concret (quoique peu visible) de la quintessence de l’épuration de notre civilisation.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Développer une patte – Editorial, Félicien Monnier
- Service ou direction? – Jean-François Cavin
- L’anacyclose – Benjamin Ansermet
- Occident express 125 – David Laufer
- Après s’être trompé – Jean-François Cavin
- A propos du scepticisme – Olivier Delacrétaz
- Impôt vaudois sur la publicité: une initiative populaire nulle – Antoine Rochat
- Place du Grand-Saint Jean – Félicien Monnier
- Conversion – Jacques Perrin
- Définir le PIB – Benjamin Ansermet