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Quand l’économie croît en marge du bien commun

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1932 13 janvier 2012
Les finances du Canton et de la Confédération sont relativement saines. La dette vaudoise est en voie d’amortissement. Les rentrées fiscales augmentent chaque année, argent provenant non d’une quelconque bulle spéculative, mais d’un travail réel débouchant sur une production de richesses réelles. Le chômage est faible. Les petites et moyennes entreprises ont encore une marge de manœuvre devant elles. Beaucoup d’entre elles ont des réserves. Comparée à la situation financière et sociale des Etats qui nous entourent, la nôtre est loin d’être mauvaise. Mais elle est tout aussi loin d’enthousiasmer la population.

Le premier numéro de l’année de PME Magazine a demandé à douze patrons de petites et moyennes entreprises de tout genre comment ils envisageaient le futur immédiat. Aucun n’aborde l’année 2012 la fleur au fusil. Trop de facteurs nous menacent, sur lesquels nous n’avons que peu de prise, ou pas de prise du tout: le poids du franc suisse, la récession qui menace plusieurs Etats dans lesquels nous exportons, l’amélioration constante des produits concurrents, notamment asiatiques, sans parler des entraves propres à la bureaucratie suisse qui désavantagent nos producteurs par rapport à leurs concurrents. Dans le meilleur des cas, il faudra beaucoup se battre pour conserver une partie de nos avantages actuels. De là cette situation ambiguëde prospérité morose.

On peut se demander si le sentiment de fragilité que nous ressentons ne provient pas, aussi, du fait qu’une part croissante de l’activité économique sur notre territoire se déroule en dehors du bien commun. Elle n’est plus reliée aux autres activités, Ecole, Université, arts et littérature, vie de l’Eglise, etc. Cette marginalisation est avant tout le fait des entreprises multinationales, même suisses, qui par leurs structures, tendent à échapper au cadre naturel de la communauté politique. Ces entreprises rapportent sans doute beaucoup d’argent et fournissent de nombreux emplois. Mais elles nous échappent, elles sont étrangères à la population vaudoise dans leurs perspectives, dans leurs usages – ou plutôt leurs manques d’usages –, souvent dans leur langue.

Or, le bien commun résulte précisément de la composition des biens particuliers des groupes et des personnes – on peut même dire qu’il est cette composition –, et non d’une flambée économique maximale. L’harmonie de l’ensemble est l’essentiel, dût-elle coexister avec une relative pauvreté.

La participation de l’économie au bien commun se réalise déjà par la simple durée, qui ancre les entreprises dans le paysage politique et social; par la contribution de celles-ci à la transmission du savoir-faire; par le dialogue loyal entre les partenaires syndicaux; par le respect de la déontologie à l’égard des consommateurs; par la prise en compte par chaque entreprise de son rôle dans la région.

La participation au bien commun se manifeste aussi par le mécénat privé, qui est un acte de haute civilisation.

Dans l’ordre du bien commun, les diverses activités humaines se pondèrent et se soutiennent réciproquement. Un ordre social ainsi intégré rend à peu près impensables les salaires disproportionnés que certains «patrons» s’attribuent aujourd’hui. C’est l’ordre social que la Suisse a connu durant des décennies et qui, plus que toutes les qualités que nous nous attribuons à tort ou à raison, lui a valu sa prospérité.

Nous voyons cet ordre social protecteur se défaire: l’arrivée, parfois sollicitée, d’entreprises internationales dont les cadres ne s’intègrent pas au pays; l’apparition de start-up qui visent une réussite à court terme et disparaissent tôt après; la mise en concurrence impossible de nos productions avec des produits étrangers fabriqués selon des normes sociales, écologiques et de qualité plus basses que les nôtres (Cassis-de-Dijon!); la tendance des syndicats à préférer les lois sociales générales au dialogue ciblé avec les représentants des patrons (initiative pour un salaire minimum, initiative pour six semaines de vacances pour tous, pour prendre deux exemples actuels); la tendance des patrons à revenir à la doctrine libérale pure et dure, autant de forces de dissolution de l’ordre social antérieur.

Le citoyen ressent confusément les menaces que fait planer cette décomposition sociale et y réagit. La comparaison des affaires Novartis et Bobst est particulièrement intéressante sur ce point, car Novartis prévoit de débaucher moins de personnes que Bobst, et d’étaler ces renvois sur une durée plus longue. Néanmoins, c’est sur l’entreprise bâloise que se déchaînent les critiques de tout le monde, du Café du Commerce au Conseil d’Etat tous partis confondus. C’est que Bobst est enraciné dans le monde vaudois et, par sa conception du travail et de la formation des apprentis, contribue au bien commun. Novartis ne se trouve à Nyon que parce qu’il faut bien être quelque part.

La dégradation du tissu économique pousse les partis à rechercher des solutions soit en libérant plus complètement la main invisible du marché, soit en soumettant la vie des entreprises à la planification bureaucratique, deux façons de continuer à détruire ce qui nous reste de bien commun.

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