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Breivik, un chrétien fondamentaliste?

Marc-Olivier Berthoud
La Nation n° 1932 13 janvier 2012
Selon une dépêche de l’AFP du 29 novembre 2011 reprise par le journal Le Temps du même jour, Anders Behring Breivik, «psychotique et donc pénalement irresponsable de ses actes» pour les psychiatres, «pourrait éviter la prison», selon le Parquet d’Oslo. La dépêche conclut que «le dernier mot sur la responsabilité pénale de Behring Breivik reviendra au tribunal, qui suit généralement les recommandations des experts».

Anders Behring Breivik est cet assassin qui a reconnu avoir mitraillé soixante-neuf personnes – principalement des adolescents – sur la petite île d’Utoya en Norvège, après avoir préalablement fait sauter une bombe de forte puissance au cœur du quartier ministériel d’Oslo, tuant huit personnes. Mais qui donc est ce Breivik?

Au lendemain des attentats, après que l’hypothèse islamiste eut définitivement été écartée, le chef de la police d’Oslo, Roger Andersen, qualifiait Breivik de «fondamentaliste chrétien». Cette qualification s’est fondée en partie sur les informations de la page Facebook de Breivik où, amateur de bodybuilding et de franc-maçonnerie, il qualifiait ses vues religieuses de «chrétiennes» et ses vues politiques de «conservatrices».

Une brève étude de son manifeste 2083: A European Declaration of Independence (1) permet rapidement de mettre en doute l’affirmation du chef de la police d’Oslo. En effet, si le terme «chrétien» et ses dérivés y apparaissent à de très nombreuses reprises, il doit être compris dans une perspective immanente et culturelle. En effet, «comme c’est une guerre culturelle [ndlr: la guerre contre l’Islam], notre définition d’être un chrétien ne signifie pas nécessairement que vous devez avoir une relation personnelle avec Dieu ou Jésus. […] Il est suffisant que vous soyez un chrétien agnostique, un chrétien-athée (un chrétien qui veut préserver au moins les bases de l’héritage culturel chrétien européen (fêtes chrétiennes, noël, Pâques))», nous dit Breivik.

La perspective «chrétienne» de Breivik n’a donc aucun fondement dans une quelconque foi «confessante ». La création, la chute, le péché, la perdition de l’homme, la providence divine, l’œuvre rédemptrice du Christ à la croix, sa résurrection corporelle, la trinité, rien de cela n’a d’importance. Pour lui, le christianisme ne se comprend que dans une opposition totale à l’Islam. C’est contre l’Islam que Breivik définit son christianisme culturel.

Une définition toute pragmatique car, bien qu’il soit extrêmement fier de sa culture et de son héritage païen nordique (Odin), ce n’est pas le symbolisme du marteau de Thor qui permettra d’unir les peuples d’Europe. «En tant que chrétien culturel, je crois que le christianisme est essentiel pour des raisons culturelles. Après tout, le christianisme est la seule plate-forme culturelle capable d’unir tous les Européens, une unité qui sera indispensable durant la troisième expulsion (2) des Musulmans à venir.» On l’aura compris, sa définition par la négative du christianisme implique qu’en dehors de sa lutte contre l’Islam, le christianisme est néant. Au niveau européen, le christianisme est réduit à son plus petit dénominateur commun, celui d’un symbolisme dialectique totalement vidé d’un quelconque contenu spirituel et transcendant.

Précisons encore sa pensée: «Une majorité de soi-disant agnostiques et athées en Europe sont des chrétiens culturels conservateurs sans même le savoir. Dans ce cas, quelle est la différence entre un chrétien culturel et un chrétien religieux? Si vous avez une relation personnelle avec Jésus- Christ et Dieu, alors vous êtes un chrétien religieux. Moi-même et beaucoup d’autres comme moi n’avons pas nécessairement une relation personnelle avec Jésus-Christ et Dieu. Nous croyons cependant que le christianisme est une plate-forme culturelle, sociale, identitaire et morale. C’est ce qui fait de nous des chrétiens.»

Ainsi, le christianisme de Breivik n’a rien à voir avec la dénonciation hasardeuse du christianisme dit fondamentaliste qu’en fait l’ancien pasteur de la cathédrale de Genève, William McComish, dans un article haineux paru dans Le Temps du 9 septembre dernier. Contrairement aux chrétiens confessants qui croient que la Bible est la parole de Dieu et qui cherchent à obéir à Ses commandements, Breivik n’a pas de relation personnelle avec Dieu. C’est un homme de logique qui rejette toute approche dite fondamentaliste de la parole de Dieu car «il est essentiel que la science passe de manière incontestée avant les enseignements bibliques».

Seule compte pour lui la dimension esthétique, symbolique et identitaire – opposée au multiculturalisme – d’un christianisme immanent dans lequel pourrait se refondre une Europe fantasmée prétendument unie politiquement dans la chrétienté au cours des siècles passés. On nage en pleine gnose culturaliste et athée dont l’objectif serait l’établissement d’un nouvel Age se caractérisant par sa lutte à mort contre l’Islam.

Breivik est également un fervent «supporter d’une Europe chrétienne mono- culturelle». Pour ce faire, il suggère de consacrer d’importants efforts pour faciliter la déconstruction de l’Eglise protestante dont les membres n’auraient qu’à retourner au catholicisme, religion dans laquelle les croyants sont, pour lui, «attirés inexorablement par la richesse du symbolisme catholique exprimée dans la beauté architecturale des églises catholiques».

Au regard de ce qui précède, on distingue clairement que Breivik n’a rien à faire avec les chrétiens confessants. Mais l’association que tente de faire McComish entre eux et Breivik est d’autant plus risquée lorsqu’on considère une des devises de Breivik qui est «la violence est la mère du changement». Une telle devise fait plutôt penser à la maxime maçonnique révolutionnaire Ordo Ab Chao, l’ordre à partir du désordre. Voilà peut-être une piste qui mériterait d’être étudiée et que ni McComish ni la plupart des médias n’ont jugé bon de relever.

Breivik mentionne son intérêt pour la franc-maçonnerie sur sa page Facebook. Il précise sa position dans son manifeste où, non seulement il reconnaît en faire partie – «après cinq ans dans la franc-maçonnerie, j’ai finalement été accepté au rang 4-5 (c’est un rang combiné)» – mais, et bien qu’il dénonce les tendances petites-bourgeoises de cette organisation, il affirme que les francs-maçons «sont de bons représentants et des conservateurs (gardiens du patrimoine culturel) et qu’à ce titre, ils remplissent un rôle essentiel».

Les incrédules seront heureux d’apprendre que le grand maître de l’Ordre norvégien des francs-maçons (Den Norske Frimurerorden), Ivar A. Skår, dans un communiqué publié sur le site internet de l’Ordre le 24 juillet 2011, a publiquement reconnu que Breivik était membre de cet ordre et l’a exclu avec effet immédiat.

Nous croyons l’avoir démontré, Breivik n’a rien de chrétien, ni dans son discours, ni dans sa «foi», et encore moins dans ses actes.

Quant à une certaine idée de la justice, celle par exemple des chrétiens confessants qui aspirent, sur le plan public, à cette équité où les hommes sont rétribués justement selon leurs actes, elle ne semble être partagée ni par les autorités judiciaires norvégiennes, ni par William McComish. Peut-être ce dernier saura-t-il l’expliquer aux familles des victimes.


NOTES:

1) Toutes les observations sur Breivik sont tirées de son pensum «2083: A European Declaration of Independence», disponible sur le site site http://www.kevinislaughter. com/wp-content/uploads/2083+-+A+European+Declaration+of+Independence.pdf. Les citations proviennent de la même source et ont été traduites par l’auteur.

2) La première expulsion fait référence à la fin de l’expansion musulmane médiévale en Occident avec la bataille de Poitiers en 732, alors que la seconde expulsion fait référence à la Reconquista de la péninsule ibérique qui s’achève en 1492.

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