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Cédric Cossy
La Nation n° 1982 13 décembre 2013

En mai 2011, le Grand Conseil vaudois approuvait un projet de loi sur les écoles de musique (LEM) dont la préparation et la mise en place avaient pris plus de dix ans. Les mélomanes se félicitaient de cet aboutissement, seul digne d’assurer la formation et la relève musicale dans le Canton.

Avant d’aborder les effets de sa mise en application, mentionnons que, en matière d’enseignement musical, une couche réglementaire fédérale va s’ajouter, conséquence de l’acceptation en septembre 2012 du contre-projet à l’initiative fédérale «Jeunesse et musique». Le texte fait en premier lieu référence à l’apprentissage musical dans le cadre scolaire, mais il est rédigé de manière suffisamment large pour concerner tôt ou tard les écoles de musique vaudoises1.

La LEM concerne les élèves de moins de 20 ans des «écoles de musique reconnues». A ce jour, seules les écoles affiliées à l’Association vaudoise des conservatoires et écoles de musique (AVCEM, douze mille élèves environ) et à la Société cantonale des musiques vaudoises (SCMV, moins de trois mille élèves) sont réputées reconnues. La section vaudoise de le Société suisse de pédagogie musicale (SSPM), quoique forte de deux cent trente enseignants indépendants, n’est pas concernée par la LEM.

Le Canton et les communes subventionnaient les écoles de musique bien avant la LEM. En 2008, les subsides publics représentaient un peu moins de la moitié des frais des écoles de musique, avec des contributions cantonales et communales de 5, respectivement 9,3 millions (dont 6 pour la seule ville de Lausanne). Le financement, les écolages et subsides n’étaient cependant pas égaux selon le domicile de l’élève ou l’école fréquentée. Le législateur, qui déteste les inégalités, s’est donc appliqué à harmoniser le financement. Les négociations menées entre le Canton et les deux associations de communes vaudoises ont ainsi conduit à la signature d’une convention, prévoyant au terme d’une période transitoire de six ans un financement à parts égales: l’Etat octroiera dès 2018 un minimum de 11,3 millions, somme égale au cumul d’une participation communale de 9,50 francs par habitant et des frais liés à la mise à disposition des locaux nécessaires aux écoles de musique. La loi oblige (art. 32) les communes à accorder en sus des aides individuelles aux élèves «pour assurer l’accessibilité financière» à l’enseignement de la musique. La loi augmente donc de manière significative le soutien des collectivités aux écoles de musique.

La LEM prévoit de confier la gestion des écoles de musique à une Fondation pour l’enseignement de la musique (FEM). Cette dernière définit les conditions de reconnaissance des écoles pouvant prétendre à ses subventions, notamment en matière d’organisation administrative, de standards de formation des enseignants, de conditions de travail, de rémunération, d’écolage, etc. Dès sa création, la FEM s’est dotée d’une commission pédagogique chargée d’établir un plan d’études et les exigences correspondant à ses différentes étapes. Une fois ses propres frais de fonctionnement déduits, la FEM redistribue aux écoles de musique les contributions reçues du Canton et des communes.

A ce jour, trente-cinq écoles ont obtenu la reconnaissance de la FEM. On y trouve les conservatoires et écoles affiliées, mais aussi une école multisite regroupant quarante-huit des anciennes écoles de la SCMV. Ceci assure une couverture raisonnable du territoire cantonal, à la notable exception de Moudon.

L e déploiement de la nouvelle loi se fait de manière progressive sur la période 2012 – 2017. Le nouveau mode de financement sera introduit par étapes, avec un désengagement progressif des communes au financement direct de leurs écoles au profit de la FEM. Les enseignants devront dans le même temps compléter leur formation, surtout pédagogique, pour prétendre à une équivalence du master en pédagogie musicale, désormais exigé par la FEM. Certaines communes devront reprendre à leur charge les locaux d’enseignement et définir le règlement communal définissant le système d’aides individuelles tel qu’exigé à l’art. 32 de la loi2.

Les grands gagnants de la nouvelle loi sont certainement les enseignants de musique: pour autant qu’ils se plient aux nouvelles exigences pédagogiques, ils disposeront de contrats durables et de prestations sociales équivalentes à un enseignant scolaire. Finie donc la caricaturale précarité de l’artiste, toujours à la chasse au cachet. Ceci impose en contrepartie aux musiciens enseignants une certaine régularité en termes de présence et de suivi des élèves, contrainte pas forcément facile pour ceux voulant se partager entre concerts et enseignement. On peut craindre à terme l’émergence d’une corporation d’enseignants en musique ne pratiquant plus forcément celle-ci de manière engagée.

Les musiciens siégeant au conseil de la FEM ou dans sa commission pédagogique sont pour leur grande majorité issus des écoles de l’AVCEM ou de la Haute école de musique (HEMU), très imbriquée avec le Conservatoire de Lausanne. Il n’est donc pas étonnant que les conditions pédagogiques et administratives imposées aux écoles de musique par la FEM soient calquées sur la pratique des grandes écoles de l’AVCEM. Ces établissements ressortent financièrement gagnants de l’aventure, la loi leur garantissant non seulement le maintien au niveau historique du soutien de leurs communes d’hébergement, mais aussi une bonne part de la nouvelle contribution par habitant, payée désormais par toutes les communes, et du subside cantonal renforcé. A ce jour, aucune réduction des écolages n’est toutefois prévue.

La situation des anciennes écoles de la SCMV est moins heureuse. Avec la LEM, c’en est fini des gestionnaires bénévoles, des jeunes enseignants en cours de formation et des autres prestataires amateurs mais néanmoins éclairés. Le cadre administratif imposé par la FEM exige des contrats d’engagement, des salaires tarifés, des charges sociales additionnelles, une comptabilité professionnelle, etc. Tout ceci a un coût que les subventions de la FEM ne suffisent pas à couvrir. Les petites écoles de musique ont ainsi reçu cet automne de désagréables décomptes de la part de l’administrateur de l’école multisite, avec à la clé une augmentation de leurs coûts de fonctionnement de l’ordre d’un tiers! A cette heure, les responsables locaux réfléchissent comment emballer cette hausse pour la mettre sous le sapin des parents d’élèves ou de la commune qui les héberge.

Du côté des communes accueillant les écoles de la SCMV, c’est aussi la soupe à la grimace… Les subsides historiques étaient souvent alloués à la fanfare du lieu, mais pas spécifiquement à son école de musique. Les nouvelles contributions à la FEM vont donc dans les faits s’ajouter, en tout cas partiellement, aux montants historiques au lieu de les remplacer. Les locaux de répétition servant aux cours ne remplissent pas forcément les exigences de la loi et des investissements seront nécessaires. Enfin, la loi impose la mise en place d’un système de soutien financier communal aux élèves domiciliés dans la commune.

La phase d’introduction de la loi n’est certes pas terminée et les conséquences du nouveau mode de financement restent incertaines. On peut toutefois prédire, pour des raisons financières, une réduction du nombre d’élèves dans les écoles de la SCMV et une concentration de l’enseignement sur quelques centres dont l’infrastructure est conforme. La professionnalisation des moyens d’enseignement et l’harmonisation des écolages voulues par la LEM risquent donc de se solder par la réduction du nombre d’élèves musiciens, appelés à se déplacer hors domicile pour pratiquer leur art, le tout pour un coût supérieur.

Le chemin de l’enfer des musiciens est aussi pavé de bonnes intentions.

Notes:

1 Art. 67a, al.3 Cst féd: La Confédération fixe, avec la participation des cantons, les principes applicables à l’accès des jeunes à la pratique musicale et à l’encouragement des talents musicaux.

2 Le règlement de la commune de Villeneuve donné en exemple par la FEM ne doit pas laisser espérer beaucoup aux parents: il faut des revenus proches du minimum vital pour obtenir une aide communale.

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