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Qu’est-ce qu’un chef-d'œuvre?

Jean-Blaise RochatLa page littéraire
La Nation n° 1982 13 décembre 2013

A propos des chefs-d'œuvre est le titre du dernier ouvrage de Charles Dantzig, commentateur souvent inattendu, toujours pertinent. (Voir par exemple son excellent Dictionnaire égoïste de la littérature française.) Je n’ai pas encore lu sa tentative de définir le concept de chef-d'œuvre littéraire et ne sais s’il y mentionne un critère presque infaillible qui distingue une œuvre de valeur: ouvert au hasard, un bon livre aura toujours quelque chose à offrir à son lecteur. Et ce quelque chose ne dépend pas de la trame du récit, si c’est un roman. Je tire de ma bibliothèque Les Hauts quartiers de Paul Gadenne pour le livrer à cette épreuve. Au bas de la page 384, je tombe sur ce paragraphe:

«La pluie tombant sur cette tôle faisait un bruit de crécelle. Ainsi, ils l’avaient même privé de ça, du bruit apaisant que fait la pluie en tombant sur la terre, ce bruit d’enfance, un de ces sons précieux et fins qui rendent une âme à elle-même. Car dans la pluie qui tombe, il y a un dieu caché.»

A la page 378 du Désespéré de Léon Bloy:

«Le nez, passablement osseux, comme il convient aux gibbosiaques, sans finesse ni courbure aquiline, un peu groïnant à l’extrémité, solidement planté d’ailleurs, mais sans précision plastique, éveille confusément l’idée d’une ébauche de monument religieux que des sauvages découragés auraient abandonné dans une infertile plaine.»

Trouverai-je la gouaille primesautière, un peu potache, qui fit la réputation d’Antoine Blondin, à la page 998 de ses Œuvres?

«Le roi du Maroc fait visite au président des Etats-Unis. Celui-ci pourrait l’accueillir dans l’antichambre avec cette bonne franquette désinvolte qui caractérise pour l’ordinaire ses rapports avec les clients. Mais il y a du sultan chez ce roi et de l’Arabe dans ce Marocain: des réminiscences en Technicolor, un parfum d’Ali Baba trottent par la cervelle du vieux garçonnet messianique de la Maison-Blanche. Il quitte la lecture de ses bandes illustrées, demande la permission à Mamie (pour l’occurrence «la mère Ike»), et se précipite à cet aérodrome, où l’on joue pour de bon Un roi à New York…»

Chez quelques spécialistes des petits formats, on est certain de dénicher des perles à chaque page: la feinte légèreté des Contrerimes de P.-J. Toulet ou les inoxydables Chroniques de Vialatte. Ou encore Jean-Marie Gourio, créateur d’un genre littéraire nouveau, les Brèves de comptoir:

«La pluie, ça la fait friser comme une dictée à virgules…»

«Les droits de l’homme ça marche surtout pour les tyrans, c’est des hommes et ils ont tous les droits.»

«–Ils les ont égorgés les prêtres! – Ils l’avaient dit, ils l’ont fait, c’est pas des gens qui font de la politique comme nous, quand ils disent quelque chose, ils le font.»

«Faudra que je lave les rideaux, y me salissent tout le soleil.»

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