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Comment l’UDC appliquerait son initiative

Jean-François Cavin
La Nation n° 1994 30 mai 2014

L’Union démocratique du Centre suisse a présenté la semaine passée son «concept pour l’application de l’initiative populaire contre l’immigration de masse». Ce «concept» s’appuie sur le système en vigueur dans les années 1970-2002 qui, selon le communiqué de presse, «a fait ses preuves». C’est un peu vite dit. Ceux qui l’ont pratiqué ont le souvenir de procédures longues et compliquées pour l’octroi des permis, de choix parfois arbitraires, d’une inadéquation des contingents aux besoins de l’économie; il en résultait une prolifération des travailleurs clandestins; les magistrats, servis au restaurant par des filles ou des garçons de salle qu’on savait être au noir, hésitaient à lancer des contrôles; la limitation de l’immigration n’était que de façade.

On peut douter que les choses aillent mieux demain selon les recettes de l’UDC. Mais enfin, l’article 121a de la Constitution a été voté; il faut bien l’appliquer.

 

Les propositions de l’UDC

L’UDC propose de maintenir en gros le régime actuel des permis, avec quelques modifications:

–    le permis d’établissement C est accordé pour cinq ans; il est renouvelable, n’est pas contingenté; il n’autorise le regroupement familial qu’à certaines conditions (voir plus bas);

–    l’autorisation de séjour B est établie pour un an (cinq ans aujourd’hui pour les ressortissants d’un Etat de l’UE), renouvelable, contingentée lors du premier octroi; elle permet le regroupement familial aux mêmes conditions que pour le permis C;

–    l’autorisation L est délivrée pour la durée du contrat de travail, au maximum un an, renouvelable avec un nouveau contrat de travail; elle est contingentée, mais selon des «contingents généreux», précise l’UDC; elle ne permet pas le regroupement familial; les entreprises saisonnières (qu’est-ce? sauf en montagne, on construit toute l’année) n’auraient droit qu’à ces permis;

–    l’autorisation G vaut pour les frontaliers, la zone frontalière étant rétablie (fini les frontaliers venant de Lille ou de Naples!) et le séjour en Suisse durant la semaine de travail étant prohibé; elle est donnée pour un an, renouvelable, et ne permet pas le regroupement familial; les prestations sociales doivent être versées par l’Etat de domicile; les cantons fixent le pourcentage maximal de frontaliers dans l’effectif des entreprises;

–    le permis N concerne les demandeurs d’asile (non contingenté);

–    le permis F est attribué aux personnes admises provisoirement (contingenté);

–    les réfugiés reconnus se voient remettre le permis B (mais dans les limites d’un contingent);

–    la présence d’un étranger jusqu’à cent vingt jours ne nécessite pas d’autorisation, même s’il exerce une activité lucrative;

–    le regroupement familial, limité au conjoint et aux enfants en âge scolaire (extension possible à d’autres membres de la famille s’ils ont un travail ou des moyens d’existence suffisants) est contingenté et soumis à des conditions pratiques (revenu suffisant du ménage, appartement de grandeur convenable).

Pour la détermination des contingents, les cantons annonceraient chaque année leurs besoins; le Conseil fédéral fixerait les contingents pour la Suisse «sur la base de ces annonces en les adaptant en fonction de l’immigration et de la situation du marché du travail ainsi que du taux de chômage», puis les répartirait entre les cantons, lesquels décideraient eux-mêmes de la ventilation entre les branches, régions et entreprises. La Confédération garderait son propre contingent pour régler les goulets d’étranglement au niveau cantonal, pour les projets fédéraux et pour le domaine de l’asile.

Le «concept» de l’UDC indique que le contingent global doit «réduire sensiblement l’immigration», mais se garde bien de mentionner aucun chiffre; l’ambiguïté constitutionnelle entre une immigration maîtrisée, mais conforme aux «intérêts économiques globaux de la Suisse», demeure entière. On notera que le «concept» prévoit des contingents, mais pas de «plafonds» pourtant mentionnés dans la Constitution; heureusement qu’on évite la combinaison de ces deux restrictions, qui nous eût poussé vers la quadrature du cercle.

 

Quelques points névralgiques

Du point de vue fédéraliste, les compétences cantonales sont sauvegardées autant que faire se peut pour ce qui concerne les permis B. Il n’en va pas de même pour les frontaliers, dont la présence ne concerne pourtant qu’un nombre limité de cantons et ne semble poser problème qu’au Tessin et à Genève. La fixation des contingents devrait relever des cantons.

S’agissant des frontaliers encore, l’idée d’obliger les cantons à déterminer des quotas par entreprise est une lubie que l’UDC devrait promptement chasser de son programme; pourquoi – et surtout comment – imposer un pourcentage maximal pour une manufacture horlogère de l’arc jurassien, où la quasi-totalité du personnel est parfois frontalière?

La question du regroupement familial doit être revue. Exclure la réunion de la famille pour les permis L, c’est revenir au pénibles statut des saisonniers naguère coupés des leurs; en pire, puisque les saisonniers n’étaient que neuf mois au plus par année en Suisse, alors que les permis L, que l’UDC promeut, peuvent y passer toute l’année, et cela plusieurs années de suite! On peut admettre que les familles soient disjointes durant quelques mois – les cent vingt jours de présence libre; au-delà, c’est inhumain… et d’ailleurs générateur de séjours illicites et de problèmes kafkaïens pour la scolarisation des enfants clandestins. Pour les permis B et C, le contingentement des regroupements poserait d’ailleurs d’épineux problèmes: fera-t-on attendre la famille jusqu’à ce qu’il y ait une «place libre»? Il n’est pas prévu dans l’article constitutionnel; il faudrait s’en passer.

Enfin, le contingentement des permis B pour les réfugiés reconnus risque de créer une situation insoluble. Ou bien on lie à ce contingentement l’octroi de l’asile, et ce serait contraire au droit international; ou bien on disjoint l’asile de l’autorisation de séjour, et l’on se trouvera avec des gens qui sont réfugiés reconnus, mais sans permis de séjour, sortes d’OVNI juridiques… La Constitution, d’ailleurs, ne parle pas de contingentement pour l’asile, mais seulement de plafond.

Sans même évoquer ici la compatibilité des propositions de l’UDC avec les Bilatérales (ou plutôt leur incompatibilité), on voit que, pour appliquer le malencontreux article constitutionnel 121a, il y a encore du pain sur la planche.

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