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Ignorance ou provocation?

Daniel Laufer
La Nation n° 1994 30 mai 2014

Il existe à Bruges, dans le plus vieux bâtiment de cette belle ville, un Musée de la frite, d’ailleurs très fréquenté. Il existe à Pully, dans la villa romaine, encore beaucoup plus ancienne, une exposition de petites terres cuites, sans grand intérêt, si ce n’est qu’elles sont présentées avec un grand soin didactique et un éclairage raffiné, sous le titre Fragments du Proche-Orient. N’importe quoi peut faire l’objet de collections, les pipes, les timbres, les chapeaux, les motos, les cuvettes sanitaires. Même les frites. C’est la sélection, puis la collection, puis l’exposition qui créent une valeur ajoutée à l’objet. Ainsi peut-on voir à Pully, dans l’enceinte assez prestigieuse de la villa, en particulier une dizaine de petites lampes à huile en terre cuite, voire de simples fragments de ces lampes, plus ou moins aussi anciennes que la villa elle-même. Ce sont des objets, parfaitement banals et sans intérêt artistique, qu’on trouve par milliers à Rome, à Athènes, à Ankara et dans les bazars arabes de la vieille ville de Jérusalem. Je ne mets pas en doute les grands mérites du célèbre orientaliste René Dussaud qui fit don de sa collection à notre Musée des arts décoratifs, devenu le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, et qui comprend, il est vrai, quelques pièces intéressantes. Mais tout est dans la présentation.

Or il se trouve que l’ensemble est rigoureusement orienté dans un sens didactique précis: ces témoins des systèmes d’écriture et des religions, savamment numérotés et datés, ignorent complètement toute la Palestine. Le tableau synoptique indique dix-sept sites de recherche, de la Jordanie à la Tunisie, mais pas un seul en Israël; quant à l’évolution de l’écriture, on évoque, après les hiéroglyphes et les éléments cunéiformes, les caractères dits «sémites», c’est-à-dire hébraïques, comme s’il s’agissait d’un passé oublié, alors que la Thora est toujours lue dans cette seule écriture dans le monde entier; et quant au passage des polythéismes antiques aux monothéismes, on apprend que le premier monothéisme est apparu avec le christianisme pour laisser plus tard une place prépondérante à l’Islam. C’est donc l’impasse absolue sur le Dieu d’Israël, et sur l’histoire de ce peuple. La muséographie archéologique d’Israël a pourtant mis au jour d’innombrables sites qui font le bonheur des chercheurs, et particulièrement pour la période qui nous intéresse. Cette omission manifestement délibérée est une injure à la mémoire de René Dussaud qui a publié d’importants travaux sur le sacrifice en Israël ou sur les sources du Cantique des cantiques.

On peut détester l’Etat d’Israël, on peut être antisémite, antisioniste, tout ce que vous voudrez, mais si l’on prétend faire œuvre scientifique, comme c’est le cas du professeur Michel Al-Maqdissi, commissaire de l’exposition, on se demande si ces énormes lacunes relèvent de l’ignorance ou de la provocation, et si la Municipalité de Pully s’en sait complice.

On m’accusera non sans raison d’être à mon tour provocant si je vous engage à aller visiter la villa romaine de Pully quand cette exposition aura fermé ses portes.

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