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Les Pôles magnétiques de Bertil Galland

Vincent Hort
La Nation n° 1994 30 mai 2014

«J’avais une boussole dans la tête et de grandes aspirations.» Cette citation résume bien le propos du premier tome des mémoires de Bertil Galland. Le journaliste et écrivain, âgé aujourd’hui de 83 ans, revient dans les Pôles magnétiques sur les premières années de son enfance et de sa jeunesse, années qui furent déterminantes à plus d’un titre dans la formation de ses choix littéraires et de son parcours de vie.

Très tôt, Bertil Galland a bénéficié d’une ouverture au monde. Par sa mère, d’une part, jeune Suédoise ayant épousé un médecin lausannois, et du côté paternel, d’autre part, par son oncle, banquier et consul de Grande-Bretagne. Placé au carrefour d’influences multiples, il porte également en lui – à l’instar de son prénom scandinave et de son patronyme vaudois – la double appartenance à l’Europe et au Pays de Vaud.

Cette double identité, Bertil Galland la ressent dès son plus jeune âge. En 1936, il passe une année à Stockholm dans la famille maternelle et découvre, outre la langue suédoise, une réalité sociale assez éloignée de celle de son pays d’origine. De retour à Lausanne, la famille s’installe dans le quartier de La Sallaz où son père, progressivement atteint dans sa santé, exerce péniblement son art de généraliste. La famille vit modestement. Bertil est souvent accueilli dans la villa de Valcreuse, à Vennes, où son oncle reçoit toute une société cosmopolite qui lui apporte les échos du vaste monde. Dans ce contexte favorable, l’apprentissage des langues et la découverte passionnée des livres lui offrent l’occasion d’étendre ses connaissances, d’approfondir sa réflexion et d’affûter sa curiosité. Plus que la littérature, la poésie sera pour cette âme sensible un continent sans cesse à explorer.

Pendant la guerre, la Suisse vit coupée du monde et la situation ajoute à la précarité de la famille. Cet enfermement, le jeune Bertil l’éprouve également dans le milieu scolaire vaudois. Il s’ennuie ferme au Gymnase classique cantonal et souffre plus encore de l’enseignement maniaque et de l’atmosphère étriquée qui règnent à la Faculté des Lettres. Seuls quelques rares professeurs – dont le fameux André Bonnard – sortent du lot et parviennent à stimuler l’intérêt de leur élève.

En 1947, alors qu’il n’a que 15 ans, son père meurt, vaincu par la maladie. Entre-temps, la guerre s’est achevée et les frontières s’ouvrent à nouveau progressivement sur un continent en ruines. C’est ainsi qu’ayant achevé son Gymnase, le jeune homme entreprend avec son professeur Carl Stammelbach un long périple jusqu’au Cap Nord impliquant «d’enjamber le cadavre du IIIe Reich», c’est-à-dire de traverser une Allemagne réduite en cendres. D’autres voyages – en Belgique, en Italie, en Grèce, en Islande – suivront. C’est l’époque où de solides amitiés se nouent, comme celle qui le liera toute sa vie à Maurice Chappaz. Dans cette richesse de rencontres et de découvertes, la force de Bertil Galland réside dans la simplicité. A la fois frugalité et absence totale de prétention, elle lui donnera accès à des expériences particulièrement fortes et marquantes.

Bertil Galland consacre un chapitre remarquable à deux personnages qui ont marqué sa jeunesse. Il s’agit de Gustave Roud et de Marcel Regamey, figures paternelles de substitution qu’il baptise «les deux mages». Il dresse un parallèle étroit entre le poète de Carrouge et l’avocat d’Epalinges, tous deux profondément enracinés en terre vaudoise, sans qui «la vie intellectuelle du canton de Vaud n’aurait jamais pris la tournure qui, à l’échelle de l’Europe, a fait de lui au XXe siècle une aire hors des schémas ordinaires et remarquables par sa spécifique tonalité».

De Marcel Regamey, il dresse un portrait empreint d’estime et de sensibilité, à la mesure de l’influence qu’a exercée ce dernier sur la formation de sa pensée. «L’impulsion politique essentielle que je reçois de Marcel Regamey en ces réunions1 est l’attachement au pays de Vaud, non seulement reconnu comme terroir et lieu de vie, mais devenu, par la tournure de sa destinée historique, un Etat. C’est bien plus qu’un district administratif. Ce peuple, bien circonscrit, quelle que soit l’origine de ceux qui le composent, a le privilège d’avoir pu afficher et pratiquer sa liberté.»

Bertil Galland consacre aussi plusieurs pages à la célébration du 60e anniversaire de Gustave Roud qui eut lieu le 16 juin 1957 à Crêt-Bérard. Evoquant la mobilisation de tout un pays autour de son poète, il y fixe, dans le temps et dans le lieu, l’acte d’émancipation d’une littérature authentiquement vaudoise, libérée de son complexe provincial et de son conformisme à l’égard des lettres parisiennes. L’énumération des noms de tous ceux qui associèrent leur talent à cette journée, de Philippe Jaccottet à Henri Debluë, d’Ernest Ansermet à Jacques Mercanton et tant d’autres encore, atteste de la justesse de ce constat que l’auteur décrit comme «l’épanouissement d’un pays».

A cette époque de création et de renaissance, Bertil Galland dit avoir trouvé dans La Nation «une entière liberté de plume», où il lui «est offert de brocarder une vie littéraire confite en usages débiles ou de saluer par une page entière un jeune poète appelé Jacques Chessex».

Aujourd’hui, c’est avec bonheur que La Nation rend hommage à l’œuvre que Bertil Galland a construite sur des bases aussi fortes et généreuses.

 

Notes:

Bertil Galland, Les Pôles magnétiques, Editions Slatkine, Genève, mars 2014, 255 p.

1 NB: les entretiens du mercredi.

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