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Le Rapport sur l’armée que nous attendons

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1995 13 juin 2014

On nous annonce pour cet automne un Message du Conseil fédéral sur le développement de l’armée et, pour 2015, un nouveau Rapport sur la politique de sécurité. Tout cela est bel et bon, mais ce que nous attendons surtout, depuis le vote sur les Gripen, c’est un texte de fond, un rapport court et complet qui mette à plat toute la doctrine militaire, de ses aspects philosophiques aux nécessités politiques en passant par les problèmes d’organisation, d’infrastructures et de coûts.

Ce Rapport devra répondre à ceux qui contestent le bien-fondé de l’armée suisse telle qu’elle est conçue, soit qu’ils invoquent l’éloignement de la menace grâce aux bienfaits de la «globalisation», soit qu’ils se focalisent sur les nouvelles formes d’agression, guerres de basse intensité, terrorisme et snipers, attaques cybernétiques. Tous les arguments invoqués contre l’armée, même les plus niais, devront être minutieusement répertoriés et démontés.

Les auteurs montreront que l’évolution de l’armée suisse a été marquée par cette idéologie gnan-gnan de Mai 68, qui a pourri tant de politiciens suisses et même quelques officiers supérieurs. Cette approche ayant montré par les faits sa fausseté et sa nocivité, le Rapport en profitera pour adopter une attitude plus conforme à la réalité, plus lucide, moins verbeuse et qui ne se défaussera pas des problèmes de la défense armée sur les générations futures.

A titre de comparaison, on rappellera l’état d’esprit angélique qui suivit la première guerre mondiale, où l’on pensait que seuls les bellicistes rétrogrades pouvaient imaginer qu’il y aurait encore des guerres. Le Conseil fédéral et le Parlement avaient alors laissé l’armée à l’abandon jusqu’à la fin des années vingt.

On ne demandera pas aux auteurs du Rapport de rappeler que le parti socialiste de l’époque rejetait le principe même de la défense armée, auquel il ne se rallia que peu avant la guerre, ni de dénoncer le fait qu’aujourd’hui le même parti s’est à nouveau désolidarisé de l’effort de guerre en plaidant pour la suppression de l’armée, ni de conclure en proposant que le parti socialiste soit désormais exclu des décisions touchant la défense dite «nationale». Mais s’ils le font, on ne s’en offusquera pas.

Il serait bien que le Rapport ne recule pas devant la question métaphysique du mal dans l’homme. A défaut de s’y risquer, il examinera au moins la vraisemblance d’un monde sans conflits. Il lui sera facile de noter que l’histoire de toutes les nations, de tous les empires et de tous les temps a toujours été faite de conflits. Il arrive que la volonté de paix, la force bien utilisée et la diplomatie suspendent ou éloignent les guerres, elles n’en éradiquent jamais la possibilité.

On énumérera, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe de l’Est, le nombre de guerres, de zones d’instabilité et d’Etats en décomposition, prêts à tomber aux mains de gangs de féodaux, de mercenaires ou de djihadistes.

On démontrera qu’à notre époque, les guerres et les bruits de guerre sont plus nombreux et plus menaçants qu’il y a vingt ans. Le Rapport donnera la liste des alliances économiques et politiques qui se sont défaites et se défont, des nouvelles qui se constituent et redistribuent les forces en présence.

On énumérera les montants faramineux que les grandes puissances, leurs alliés et leurs vassaux consacrent à l’armement, à l’équipement et à la formation de leurs troupes. On donnera les chiffres, et l’évolution de ces chiffres, en valeur absolue et en pourcentage du produit intérieur brut. On les comparera avec les nôtres.

Un court chapitre sera consacré au fait qu’aujourd’hui et demain, comme hier, et quelle que soit la modernité et le caractère virtuel des moyens utilisés, une guerre finit toujours par être territoriale: tant que la communauté politique aura besoin d’un espace pour vivre, l’ennemi sera amené à contrôler cet espace. L’occupation physique du territoire est la seule façon de préserver les gains de la victoire.

Le Rapport rappellera que la Suisse est d’abord une alliance militaire. La Confédération unit des cantons trop petits pour pouvoir se défendre individuellement. Une alliance fédérale sans armée, une Confédération qui ne défendrait pas son intégrité territoriale, une Suisse qui n’aurait pour facteurs d’union que de vieux souvenirs brouillés par l’ignorance, une bureaucratie centralisatrice et des autorités fédérales plates comme des limandes devant la bureaucratie européenne et le fisc américain aurait tôt fait de transformer ses précieuses diversités en affrontements identitaires.

On rappellera encore que la neutralité n’est pas simplement un moyen circonstanciel de politique étrangère, mais qu’elle est une condition sine qua non de la cohésion suisse. On la décrira comme le moyen de neutraliser les tendances divergentes des cantons en matière de politique extérieure. Le vote sur l’EEE a montré que ces divergences subsistaient sous la centralisation fédérale.

On rappellera également que la pointe de la neutralité se trouve dans l’esprit de l’envahisseur potentiel: il doit être persuadé, grâce à des affirmations et surtout des comportements invariables et sans ambiguïté de la part des autorités suisses, que nous ne serons jamais du côté de ses ennemis tant qu’il ne nous attaquera pas, mais que nous le serons automatiquement dans le cas contraire.

Dans la foulée, il faudra examiner dans quelle mesure et dans quelles limites l’armée suisse peut, en temps de paix, travailler avec d’autres Etats sans mettre en cause notre neutralité. La question se pose en matière de formation et d’exercices, notamment sur le plan aéronautique, mais aussi en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme.

On insistera sur le fait que «les missions de l’armée» sont au nombre d’une: défendre le territoire et les populations des vingt-six cantons de l’alliance. Les missions complémentaires, principalement la défense de l’ordre interne de la Confédération, ne doivent en aucun cas être mises sur le même pied.

Un chapitre sera consacré au caractère dissuasif de notre armée. Le rôle de l’armée suisse est de dissuader l’ennemi de nous envahir. Elle a pour mission de ne pas devoir se battre. Nous n’avons pas les moyens de vaincre un grand Etat ou une coalition, mais nous avons les moyens de leur coûter trop cher pour ce que nous leur rapporterions.

Cela dit, pour être vraiment dissuasive, il est possible qu’une armée ne doive pas se concevoir comme telle, mais se présenter comme une armée de défense territoriale particulièrement intransigeante, dotée d’une volonté permanente de défense et d’une capacité rapide de mobilisation.

Pour être complet, le Rapport rappellera le caractère milicien de l’armée suisse. Il le reliera à la nature multiple de la Confédération, mais aussi à une histoire et à des traditions dont le caractère bénéfique ne s’est jamais démenti au cours des siècles et qu’un vote du peuple et des cantons a confirmé tout récemment.

Les auteurs du Rapport examineront aussi la question d’une armée professionnelle qui remplacerait l’armée de milice. Il apprécieront aussi exactement que possible la capacité d’une telle armée de défendre l’entier du territoire, ils décriront ce que pourraient être ses activités en temps de paix ainsi que ses relations avec les pouvoirs cantonaux, ils calculeront ses coûts et définiront le statut des soldats ayant passé l’âge de servir. Ils envisageront aussi les risques qu’une armée professionnelle peut faire courir à la bonne entente confédérale, la tentation pour le pouvoir de l’utiliser dans des opérations n’ayant rien à faire avec la défense du territoire, dans le but d’amortir les coûts ou de réaliser de vaniteuses opérations de prestige, à l’image des troupes françaises en Afrique.

A ce sujet, on soulignera le caractère surréaliste d’une armée française qui n’a plus la tâche ni les capacités de défendre le territoire français. Instruits par la suppression de l’obligation de servir en France, les auteurs rappelleront que la destruction des infrastructures matérielles – casernes, ouvrages divers, terrains d’exercice, etc. – rend quasiment impossible et en tout cas ruineuse une remise en état matérielle, morale et opérationnelle de l’armée dans un temps militairement admissible.

Le Rapport devrait présenter une critique minutieuse de l’armée suisse telle qu’elle existe après toutes les réformes censées lui donner «moins de graisse et plus de muscles». Il devra énumérer, du point de vue de sa mission essentielle, ses manques dans la formation, dans l’affectation des troupes, dans les armes et dans les finances à disposition… sans parler de la communication. Une telle critique n’est évidemment pensable que comme préalable à une reprise en main immédiate et vigoureuse. A défaut, toute critique publique ne peut qu’affaiblir encore notre force dissuasive.

On développera la question de la défense particulière des centres névralgiques de la Suisse. On traitera de la protection contre les attaques cybernétiques… et de la possibilité d’en conduire nous-mêmes.

Un court chapitre sur les relations de l’armée avec la presse et sur les conditions et limites de la censure en temps de crise ne serait pas pour nous déplaire.

Le Rapport conclura en calculant ce dont l’armée a besoin, définira le nombre d’hommes nécessaire à une défense du territoire digne de ce nom et se terminera par une description matérielle et temporelle des opérations nécessaires à la remise à niveau de notre armée.

Nous ne voulons pas de stupides rodomontades sur «la meilleure armée du monde», juste la description de nos besoins militaires et des plans du Conseil fédéral pour les satisfaire.

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