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Hugo Bonamin: Evocations fantomatiques à Chillon

Félicien Monnier
La Nation n° 1995 13 juin 2014

Jusqu’au 26 octobre, M. Hugo Bonamin expose à Chillon une série de portraits des visiteurs les plus illustres du château. Dans sa préface au catalogue d’exposition, le critique Marco Constantini revient avec justesse sur le rôle de l’art du portrait. Celui-ci est médiateur avant d’être représentatif. Il ancre le modèle dans la durée. Par là, il tisse entre le spectateur et le modèle un lien souvent plus fort qu’entre le spectateur et son voisin.

La précision figurative n’est pas pour autant obligatoire. L’exposition nous l’apprend. Est-elle seulement possible absolument? Il suffit d’une allusion. D’une manière ou d’une autre, le modèle doit nous être connu. Nous identifions certes le modèle, mais nous le replaçons aussi dans un contexte. Et nous devons une part de nous-même, même infime, à ce contexte, et à l’influence que le modèle a eue sur lui. Notre rapport à la langue ne serait pas le même sans Victor Hugo. Tout comme le simple tableau de l’ancêtre de la famille influe le regard que nous jetons sur notre passé, donc sur nous-même. Ai-je le même port de tête? Mon regard est-il aussi sévère? Autant de questions qui nous font approfondir notre propre identité, culturelle, historique, politique ou familiale.

L’exposition d’Hugo Bonamin ouvre à ce propos de nombreuses portes. Le visiteur pourra y admirer vingt-deux tableaux. Né à Paris en 1979 et portant un nom d’origine vénitienne, Bonamin est d’origine helvético-argentine. Il vit actuellement à Caux, après avoir vécu plusieurs années à Buenos- Aires et séjourné à Calcutta. Depuis son chalet, une vue vertigineuse plonge dans le Léman. L’artiste le reconnaît lui-même, représenter les grands hôtes de Chillon lui a permis de diminuer l’écart entre «la façade que représente la Riviera et l’empreinte culturelle qu’ont laissée ces artistes-auteurs»1.

Sur tous ces artistes plane le souvenir de Lord Byron, de son Prisoner of Chillon, de sa signature gravée dans la pierre des geôles. Un grand tableau de quatre mètres carrés lui redonne vie dans le cachot de Bonivard. A sa suite, on retrouve parmi les plus grands noms de la littérature: Victor Hugo, Léon Tolstoï, Fiodor Dostoïevski, Alexandre Dumas, Ernest Hemingway, représentés au crayon gras sur papier avec une rare profondeur de trait. Plusieurs d’entre eux ont vécu sur la Riviera, à l’image de Chaplin ou Kokoshka. Nous oublions les peintres Turner, Dali, Courbet et Delacroix; les poètes Henry James et Rilke. Mais des Vaudois sont aussi là. Louis Soutter nous observe, espiègle, à travers ses lunettes et Ramuz, suprême honneur, a droit à deux portraits. Un «facile» et un «difficile» me confiait un visiteur de l’exposition.

La plupart de ces tableaux à l’exception d’un portrait de Courbet – représentation de la représentation de l’artiste par lui-même, les mains se prenant la tête – sont le fruit de l’observation de plusieurs images de chaque artiste. Bonamin s’est également nourri de leurs œuvres et de leur biographie. Il s’agit d’un travail extrêmement complet, fort éloigné de la simple copie d’une image. C’est revenir à la fonction du portrait: être médiateur entre le modèle et le spectateur. Ils ne représentent pas le modèle à un moment précis de sa vie. Ils représentent un visiteur de la Riviera, tel que l’a perçu Hugo Bonamin. Il s’y ajoute par la suite le regard du spectateur, mêlé de joie lorsqu’il reconnaît la moustache de Ramuz, le sourire aristocratique de Byron, la distance paranormale du regard de Victor Hugo, passionné de spiritisme. Car, et le titre de l’exposition l’annonce bien, il s’agit un peu de spiritisme. Lorsque ces portraits ne se fondent pas dans l’obscurité, ils sont nimbés d’une sorte de fumée translucide, faisant apparaître un Byron borgne, un Dali à trois yeux. Et pourtant nous les reconnaissons – le plus souvent – au premier regard. Cela dépend bien entendu de la culture du spectateur. Voici qui nous renvoie déjà à notre propre identité. Par ce biais, ils demeurent.

Mais cette identité n’est qu’individuelle. Hugo Bonamin ne se contente pas de culture générale. Il explore notre identité de Vaudois, habitants d’un Pays de passage, de refuge et de contemplation pour tant d’artistes. Par son œuvre, le dialogue entre le modèle et le spectateur devient entretien de groupe. La profondeur culturelle du Canton se révèle et s’élargit une fois de plus.

Notes:

1 «Hugo Bonamin dialogue avec David Collin», in Hugo Bonamin, Portraits fantômes, Portrait of ghosts, catalogue d’exposition, ArtPress/Fondation du Château de Chillon, Paris 2014.

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