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La garnison de Saint-Maurice

Jean-François Cavin
La Nation n° 1995 13 juin 2014

La garnison de Saint-Maurice? Vous croyez peut-être savoir ce que c’est; mais vous ne le savez pas. Bien sûr, vous situez Agaune; vous n’ignorez pas que les rochers dominant la cité sont percés de galeries et excavés de cavernes où veillaient de valeureux soldats; vous subodorez donc qu’il s’est agi d’une troupe de notre armée. Mais encore: depuis quand existe-t-elle? Quelle fut exactement sa mission? Barrer le défilé ou défendre un plus vaste territoire? Dans le second cas, quel territoire? Avec des feux d’artillerie seulement ou avec le concours d’importants contingents d’infanterie? Comment cette garnison était-elle articulée avec le haut commandement?

Les réponses à ces questions, et à bien d’autres encore, vous les trouverez dans le volumineux ouvrage1 que M. Pierre Rochat, bien connu des lecteurs de La Nation, a publié il y a quelques mois après une dizaine d’années d’examen minutieux des Archives fédérales, cantonales, communales, militaires, de fonds familiaux, des règlements militaires successifs, ainsi que de nombreuses revues et monographies. Ce travail de bénédictin, M. Rochat dit que c’est celui d’un historien amateur; docteur en droit et notaire, il ne possède certes pas les diplômes de l’historien universitaire; mais son recours aux sources originales, son souci de l’exactitude des détails et de leur mise en perspective, la prudence de son jugement obéissent à une parfaite rigueur scientifique. M. Rochat est trop modeste quand il écrit, à propos de sa prétendue hardiesse d’amateur: «Si Clio me condamne, que Saint-Maurice et Sainte Barbe me pardonnent.»

Si M. Rochat est historien, serait-ce malgré lui, il est aussi colonel de l’état-major général et fonctionna comme chef d’état-major milicien de la brigade qui fit suite à la «garnison» selon l’organisation des troupes de 1951. C’est dire que l’auteur connaît le secteur. Et quand il décrit le renforcement de la position de Riondaz, au-dessus de Morcles, ou l’engagement de la couverture frontière en direction de la France, on sent bien que ce ne sont pas des données livresques, mais que l’officier supérieur en mesure concrètement la raison stratégique, la pertinence tactique et la difficulté pratique.

Une autre qualité de l’ouvrage est que la description très détaillée de l’organisation de la garnison, de ses effectifs, de sa vie (on sait exactement quel fut le rythme des relèves durant la seconde guerre mondiale) se trouve mise en rapport direct avec les options, parfois hésitantes d’ailleurs, du haut commandement, voire du département militaire, et même avec les événements internationaux dont découlaient les choix stratégiques de la Suisse. Ainsi le débat perpétuel entre les tenants de la micro-histoire et les adeptes de la grande histoire se trouve-t-il réglé: l’une s’inscrit dans l’autre.

Signalons encore qu’apparaissent, au fil des chapitres, les figures attachantes et parfois remarquables de plusieurs officiers qui ont marqué la garnison: le major, puis lieutenant-colonel, puis colonel Dietler, qui développa le dispositif fortifié jusqu’en 1910 avant de prendre la tête du service fédéral des fortifications; le colonel Fama, de la grande famille de Saxon, un fort tempérament, qui resta à la tête de la garnison pendant quinze ans jusqu’en 1919 (et qui, à sa retraite, habita Lausanne; ce Valaisan fils d’un immigré dalmate fut alors membre de la Ligue vaudoise!); le capitaine Ernest Léderrey, instructeur énergique et charismatique qui reprit en main l’instruction de la garnison; et l’on en passe, mais on n’omettra pas de citer le major, puis lieutenant- colonel Charles Buxcel, instituteur au civil, dont les vieux Pulliérans se rappellent la silhouette droite et la démarche martiale; comme commissaire des guerres de la brigade 10, il devait nourrir, au plus fort de la mobilisation en 1943, 25 000 hommes et 2100 chevaux et mulets, ainsi que la population civile du secteur en cas d’enclenchement des hostilités!

Cela dit, quel est exactement ce secteur, allez-vous demander; et à qui la garnison fut-elle subordonnée au fil des décennies; et qu’en est-il du fort de Chillon; et de la pénible construction de la route de Morcles? On ne vous le dira pas ici. Lisez M. Rochat.

Notes:

1 Pierre Rochat, La garnison de Saint-Maurice, Un demi-siècle d’histoire militaire, Editions Cabédita, Bière, 2013.

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