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Des chemins parallèles

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1998 25 juillet 2014

Par incompétence scientifique autant que par prudence théologique, La Nation n’a jamais pris position dans le débat qui oppose le créationnisme et l’évolutionnisme. Ce n’est pas le cas du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture qui, en réponse à l’interpellation d’un député, a affirmé qu’aucun établissement scolaire vaudois, même privé, ne serait autorisé à dispenser un enseignement créationniste.

Pour les créationnistes, les deux premiers chapitres de la Genèse doivent être pris au pied de la lettre. Ils constituent le cadre non négociable de toute recherche scientifique. Pour les évolutionnistes, au contraire, l’histoire du monde fut, dès les premières manifestations de la vie, le résultat exclusif du hasard des mutations rectifié par la sélection des plus forts. Ils considèrent le texte biblique comme une légende qui fait coexister en tout anachronisme des périodes de l’histoire du monde dont la géologie et la paléontologie démontrent qu’elles sont distantes de millions d’années.

On voit donc des scientifiques prendre une position religieuse sur la base de leur science et des croyants prendre des positions scientifiques sur la base de leur foi. Ce n’est pas très scientifique, ni très théologique, tant ces deux approches diffèrent, quant à l’objet et quant aux moyens.

La science est une approche de la réalité qui va du connu à l’inconnu, progressant par des expériences effectuées selon des procédures rigoureuses et standardisées. La confrontation entre des théories scientifiques opposées n’est scientifiquement pensable que si leurs auteurs se soumettent identiquement à ces procédures.

Même si l’intuition des grands découvreurs scientifiques peut ressembler à un acte de foi, ils n’en doivent pas moins la vérifier selon les règles, la valider, la modifier ou l’abandonner en fonction des résultats de leurs expériences.

La théologie, au contraire, connaît d’emblée son point d’arrivée. Le chercheur applique son intelligence à une révélation venue d’En-haut. Il fait le chemin en connaissant le sommet. Il ne pose pas une hypothèse, mais un acte de confiance – «je crois…». La confrontation entre deux thèses théologiques divergentes ne peut se faire que dans le cadre d’une religion aux textes sacrés de laquelle elles se réfèrent toutes deux.

Ajoutons que les événements essentiels de la religion chrétienne sont des faits non seulement surnaturels – alors que la science ne s’occupe que de phénomènes naturels – mais encore uniques, donc non susceptibles d’être répétés dans le cadre d’une procédure expérimentale.

Au fur et à mesure que ses connaissances progressent, le scientifique est confronté à de nouveaux mystères, à de nouvelles perspectives, à de nouvelles limites. Cela fait qu’il propose des modèles provisoires plutôt que des certitudes définitives, le modèle privilégié étant celui qui, à ce jour, rend compte du plus grand nombre d’observations et de calculs.

La théorie de l’évolution est un tel modèle. Les non-scientifiques doivent l’accepter comme le modèle actuellement le plus performant, lors même qu’aux yeux de certains scientifiques, il est contestable sur plus d’un point important. Quant aux évolutionnistes, ils devraient s’en tenir là et éviter de tirer de ce modèle une explication générale et définitive des mystères de ce monde et de l’au-delà.

La création de l’univers à partir de rien, celle de l’homme effectuée distinctement des autres êtres vivants, les relations personnelles de nos premiers ancêtres avec le Créateur, la tentation et la chute, tous ces événements sont historiques en ce sens qu’ils se sont bel et bien passés. Mais, étant surnaturels, ce sont des faits de foi qui ne peuvent être présentés sous une forme «scientifique» (qu’est-ce que ça voudrait dire, d’ailleurs?) mais seulement racontés sous une forme poétique ou symbolique.

Il n’est pas plus pertinent de confirmer ou d’infirmer scientifiquement une affirmation relevant du surnaturel que de contester théologiquement un modèle scientifique fondé sur une série de constats dûment avérés.

N’en déduisons pas qu’il y aurait une contradiction fondamentale entre les vérités scientifiques et les vérités théologiques! Toutes deux renvoient à la même et unique source, dans laquelle il n’y a pas de contradiction.

Nous croyons en revanche qu’il est impossible à l’intelligence humaine de concevoir une théorie scientifico-théologique qui restituerait d’un seul tenant la pleine unité de la réalité. L’erreur commune des créationnistes et des évolutionnistes est de croire à la possibilité d’une telle théorie. Dans ce débat entre deux conceptions monistes de l’univers, les uns réduisent le surnaturel au naturel, les autres nient la liberté de l’intelligence à la recherche de la vérité scientifique.

Nous croyons qu’il importe de ne pas conclure et de laisser chaque approche de la réalité s’épanouir d’une façon autonome à l’intérieur de son cadre spécifique et selon ses règles propres.

Même quand les deux domaines semblent se rencontrer – la théorie du big bang et l’affirmation biblique que la lumière a existé avant les astres, par exemple –, ce serait une erreur de méthode que de considérer cette rencontre – peut-être provisoire – comme une preuve de l’une par l’autre.

C’est un fait que le modèle évolutionniste s’est aujourd’hui changé en certitude, voire en dogme. Tout le monde «sait» que tout – l’univers, l’humanité, les religions – est le fruit du hasard et de la nécessité. Toute contestation, même de la part d’un scientifique, déclenche non pas un renouvellement du débat et une mise en cause, même partielle, du modèle, mais la stupeur indignée et une condamnation morale sans appel. Cela non plus n’est pas très scientifique. À vrai dire, les scientifiques sont en général beaucoup plus retenus. Mais ils n’ont aucun contrôle sur les simplifications que les vulgarisateurs et les médias imposent à leurs théories, sur la doxa simpliste qui traîne un peu partout et inspire les interventions des politiques dans l’enseignement.

Pour cela, on peut craindre que l’interdiction prévue par le Département et, d’une façon générale, la réprobation dominante à l’égard de la théorie créationniste ne s’étendent à l’idée même d’une création de l’univers à partir de rien, acte libre et gratuit de la volonté divine.

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