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Democrazia vivainta: l’avertissement de la peste au choléra

Félicien Monnier
La Nation n° 1998 25 juillet 2014

Nom de code: Democrazia Vivainta, démocratie vivante en romanche. Le petit scandale fédéral a été révélé par la Sonntagszeitung du 22 juin dernier. Un groupe de réflexion prétendument secret aurait été réuni par la Chancellerie fédérale pour réfléchir aux modifications éventuelles à apporter à la démocratie directe. La presse alémanique a réagi assez violemment à la nouvelle. Elle a montré son indignation face à l’institution d’une commission secrète. Elle y a vu une tentative d’affaiblissement des droits politiques.

Réagissant à l’attaque de la Sonntagszeitung, la Chancellerie a publié sur son site internet un communiqué ainsi que la liste des membres du groupe. Ce dernier était composé de treize personnes. Parmi plusieurs hauts fonctionnaires fédéraux, on comptait trois chercheurs des Universités de Berne et de Bâle, et de l’institut des hautes Etudes en administration publique de l’Université de Lausanne, un ancien greffier du tribunal fédéral et deux consultants de cabinets alémaniques.

Les réflexions de la commission ne sont pas particulièrement originales. Elle commence par constater à très juste titre que la démocratie directe est devenue un instrument de pouvoir pour les partis. Cela est vrai. Ces colonnes ont souvent dénoncé l’utilisation électoraliste de l’initiative populaire.

Parmi quelques autres idées, le groupe de réflexion cherche donc à diminuer les chances d’aboutissement des initiatives. Plusieurs pistes sont examinées. Certaines ont trait aux procédures, d’autres à la matière de l’initiative. Un raccourcissement des délais de récolte est proposé sans grande surprise; tout comme une augmentation du nombre de signatures.

Nous avons toujours été opposés à l’instauration de telles mesures quantitatives. Comme le groupe de travail en esquisse la possibilité, l’objectif pourrait être de rendre le travail des partis plus difficile. Il ne faut donc pas restreindre les chances d’aboutissement des initiatives au point que seuls les partis puissent encore y parvenir. Les intérêts des partis peuvent être très éloignés du bien commun. Il ne faut dès lors pas leur donner le monopole de la démocratie directe. Celle-ci doit servir de contre-pouvoir en mains des communautés intermédiaires qui forment la Confédération. Elle ne doit pas faire office de doublon d’un parlement à tendance oligarchique. Dans une vingtaine d’années et si l’on suit cette voie, un autre groupe de réflexion aura alors largement la possibilité de proposer l’abolition pure et simple de la démocratie directe.

Une autre proposition, non contradictoire avec la dynamique précédente, est de durcir l’admissibilité des initiatives. Le groupe de réflexion relève que donner cette compétence au Conseil fédéral ou au tribunal fédéral est aujourd’hui inimaginable. Nous avons souvent dit que l’assemblée fédérale devrait appliquer plus sévèrement l’exigence de l’unité de la matière. Cela éviterait plusieurs initiatives fourre-tout. En revanche, toute restriction au nom du droit international est à rejeter. Que la Suisse veuille se mettre au ban des nations relève de sa responsabilité. a ce propos, la commission propose d’indiquer sur la feuille de signatures qu’il se présente une contradiction avec le droit international. Séduisante de prime abord, cette proposition est à discuter. Elle donnerait au citoyen la possibilité de signer, puis de voter, en connaissance de cause, et assoirait la légitimité du vote – tout en la bouclant aux chantres du «il faut revoter».

Il convient toutefois de prendre garde avec de telles mesures. Ce que l’on nomme contrôles abstraits a priori de compatibilité avec le droit supérieur, ou égal, reste précisément des contrôles abstraits. Ils affirment l’incompatibilité de manière absolue. Rien n’indique que, dans les cas concrets qui se présenteront, une interprétation conforme soit impossible. Qui décidera que l’initiative peut poser des problèmes? Une telle indication aura un contenu politique fort, voire partisan. De plus, elle fera planer l’idée que le droit interne est d’une valeur moindre que le droit international, fixé comme référence. Alors que cela est faux. Dans tous les cas, le principe de la dénonciation de l’accord contraire doit demeurer, au même titre que l’abrogation du droit interne antérieur1.

Comme nous le savons, de tels débats ont déjà souvent eu lieu. Les facultés de droit et de sciences politiques abordent ces problématiques avec leurs étudiants dès les premières années. Il faut en revanche s’inquiéter que ces réflexions commencent à prendre corps dans l’administration. Un député se sentira bientôt suffisamment légitimé pour en faire une motion, ou un think tank pour lancer une initiative.

Deux remarques méritent d’être faites à titre de conclusion. De nombreuses initiatives, contre les pédophiles, les minarets, ou les criminels étrangers, constituent des réponses brutales et inadéquates à des problèmes réels. toutes ne sont pas le fait des partis. Il est vrai que le désordre, dans certains domaines, va croissant. Pour le corriger, il faut commencer par de petites choses. Il ne suffit pas d’une initiative déclamatoire, envoyant tous les pédophiles en prison de manière automatique, ou interdisant les minarets au risque de faire interdire – par mimétisme – les clochers. Il y a quelque chose de faux à proposer une initiative que l’on sait difficilement applicable, non seulement juridiquement, mais dans les faits.

Enfin, le moyen immédiat de freiner ces réflexions réformatrices est entre les mains des partis. Si ceux-ci cessaient la surenchère plébiscitaire qu’ils jouent, le nombre d’initiatives diminuerait. Ils doivent comprendre qu’à tordre la démocratie directe à leurs besoins électoraux, ils finiront par ne plus pouvoir l’utiliser lorsque cela sera vraiment nécessaire. Les partis porteront alors la responsabilité d’avoir détruit, par pure obsession du pouvoir, l’une de nos institutions permettant le mieux de défendre le bien commun. Ce bien commun, ils n’en ont cure qu’après l’avoir confondu avec leur propre intérêt. C’est la raison pour laquelle nous savons d’expérience qu’il y a peu à attendre de leur part.

Notes:

1 Pour plus de détails sur ces mécanismes, nous renvoyons à l’article de M. Jean-François Cavin, «Droit national et droit international», La Nation n°1982 du 13 décembre 2013.

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