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Peindre l’Amérique à la Fondation de l’Hermitage

Yves Guignard
La Nation n° 1998 25 juillet 2014

Il y a trente ans cette année, la Fondation de l’Hermitage montrait sa première exposition au public romand. Quelque huitante expositions et deux millions et demi de visiteurs sont passés par là depuis lors. Pour célébrer cet anniversaire, une grande partie du sous-sol est consacrée aux collections de la maison – qu’on ne saurait appeler «permanentes» comme ailleurs, puisque le musée ferme entre deux expositions et montre trop rarement ses propres trésors. Voici une première raison de s’y rendre.

La deuxième réside dans l’exposition temporaire actuelle consacrée aux peintres américains du XIXe siècle. L’Amérique de cette époque-là n’a rien de l’eldorado culturel qu’elle est devenue. Que de musées magnifiques, en effet, aujourd’hui, de new York à San Francisco, de Houston à Chicago. On vient de loin pourtant! il faut s’imaginer en 1800, un pays jeune, en pleine construction, qui n’a pas encore acheté ni la Louisiane, ni la Floride, ni l’Alaska, qui n’a pas conquis l’ouest, ni les territoires du Sud jusqu’au Mexique. Dans ce pays de pionniers, dans ces contrées sauvages, l’art est vraiment le cadet de tous les soucis. Et si l’on en croit un leader tel que Benjamin Franklin: «Pour l’Amérique, un maître d’école vaut une douzaine de poètes et l’invention d’une machine a plus d’importance qu’un chef-d'œuvre de Raphaël.» La messe est dite, ce ne sera pas une sinécure pour un artiste de faire sa place.

Tel est le premier regard qu’on peut jeter sur cette exposition, ces œuvres d’art sont des étrangetés, surgies dans un pays sans tradition picturale et qui n’était pas prêt à les accueillir. L’art, cela étant, se développe dans un va-et-vient entre les créateurs et leur public. Les premiers doivent répondre aux attentes des seconds qui les font vivre, mais on peut aussi partir du principe que les artistes vont essayer de forger le goût et la sensibilité de leurs contemporains. Il en va ainsi de l’art américain.

Pour exemple les formidables natures mortes de l’exposition. Il n’est nullement question, comme dans la grande tradition flamande, de présenter riche vaisselle et victuailles comme reflet – sous couvert de vanité – de l’opulence bourgeoise. Chez les américains, pas tant de double message, les objets du quotidien sont tangibles, simples, empreints d’immédiateté. Mais ce qui frappe surtout, c’est l’ironie qui règne partout ici. Sur un panneau d’affichage, une enveloppe, en trompe l’œil: «very important information inside», ou à côté d’amandes remarquablement peintes: «new variety, try one!» ou encore ce timbre authentique à côté de son équivalent peint et la question qui nous est posée sur le tableau lui-même: «which is which?». L’art devient un jeu espiègle où la chose représentée nous échappe tout en venant nous titiller avec insistance. Pour peu, on verrait surgir au détour d’un couloir «ceci n’est pas une pipe»… Et cela ne jurerait pas dans cet ensemble, même si l’on a affaire à des peintres nés deux générations avant les surréalistes et sur un autre continent.

L’accent est aussi particulièrement mis sur les paysages, première richesse de ce nouveau Monde et genre d’autant plus prisé que la nature l’emporte alors haut la main sur la culture. On voit bien se décliner les différentes générations de la Hudson River School, des premiers protagonistes très empreints de romantisme et très précis dans leurs descriptions topographiques, aux délicats luministes, chez qui le paysage comme cadre est devenu prétexte à des effets d’atmosphère.

Quelques tableaux d’amérindiens ont cela d’amusant qu’ils sont de la main du fondateur des Wild West Shows, George Catlin. Ce peintre explorateur – on pourrait presque dire ethnologue – a vécu avec différentes tribus et les a peintes afin de faire prendre conscience au monde de ces cultures menacées. Peu entendu en Amérique, il décide de faire un tour des capitales européennes, avec des dizaines de toiles dans ses bagages mais aussi quelques indiens à qui il fera effectuer des numéros, monter des spectacles.

On visite intrigué et le sourire aux lèvres cette belle exposition qui nous montre autant de visages familiers mais pourtant insolites d’une Amérique qu’on croit trop bien connaître à force de cinéma. La réalité peinte est-elle plus authentique, moins déformée que celle projetée sur un écran? Pas sûr. On n’en ressort pas moins dépaysé, déboussolé et ravi.

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