Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Mon vital combat

Cédric Cossy
La Nation n° 2008 26 décembre 2014

Depuis quelques années, on voit fleurir dans les ateliers et sur les grands chantiers de grandes banderoles faisant l’apologie de la sécurité au travail. On peut y lire des phrases telles que: «La sécurité est l’affaire de tous», «Sur le chantier, la sécurité c’est notre priorité», «HSE1 commence avec chacun de nous, où que nous soyons et quoi que nous fassions», «La sécurité, mon vital combat»…

Que ce soit par le support ou par le ton, ces banderoles rappellent les slogans lus par le soussigné aux carrefours d’un pays communiste et totalitaire, à la gloire du régime et de sa doctrine. La comparaison n’est pas anodine.

Tout d’abord, l’objet est occulté par la doctrine. Un régime totalitaire ne parle jamais de la communauté qu’il administre et conduit, mais fait l’apologie du régime et de ses buts. Les banderoles de nos chantiers ne rappellent ni la finalité des mesures de sécurité, à savoir éviter des blessures et des souffrances, ni la nature de ces mesures. Elles font simplement l’apologie de la sécurité comme doctrine.

Il y a ensuite la tendance englobante: les régimes totalitaires sont qualifiés comme tels car ils désirent contrôler l’entier des comportements, voire des pensées de la communauté sur laquelle ils règnent.

Pareil pour la sécurité: c’est «l’affaire de tous», «où que nous soyons et quoi que nous fassions», «plus qu’une priorité, la sécurité est un devoir». La sécurité est une maîtresse exigeante qui n’admet aucune dissidence.

Tout comme les régimes politiques, la sécurité a des ennemis cachés, qu’il s’agit de débusquer et de combattre: «La sécurité, mon vital combat.» Des chargés de sécurité patrouillent sur les chantiers et dans les halles de production, bottés, casqués et sanglés de gilets fluorescents, pour rappeler aux éventuels déviationnistes les bonnes règles de travail.

Tout comme dans les meilleurs régimes doctrinaires, le poids de l’administration débilitante se fait aussi sentir. Les sous-traitants font la queue chaque matin pour s’inscrire sur le tableau de présence, pour obtenir un bon de travail comportant trois pages de questions et de recommandations, etc. Ils devront refaire la queue le soir pour restituer ledit bon et attester que le chantier est rangé. Les directives protéiformes et parfois contradictoires bourgeonnent. L’alinéa 7.2 de la procédure interne Z-247bis justifiera le blâme infligé à l’immigré distrait, au demeurant incapable de comprendre ce verbiage technocratique. Les recommandations étouffent la créativité: «N’entreprenez rien si vous n’avez pas suivi la formation adéquate.»

Vous êtes parfois oublieux ou un peu léger dans l’application des procédures de sécurité? Vous n’êtes qu’un criminel égoïste ou un candidat au séminaire de rééducation: «Pensez à vos amis» «Travailler en sécurité: vous le devez à votre famille». Le ton culpabilisant et moralisateur tend à vous convaincre que, si vous ne tenez pas la rampe en montant les escaliers, vous porterez la responsabilité des conséquences sur votre entourage.

Manque encore la délation pour compléter ce tableau, mais ceci ne saurait tarder: le devoir de dénoncer un comportement contraire aux normes de sécurité existe déjà chez nos pairs outre-Atlantique.

Nous sommes pourtant acquis aux bienfaits de conditions de travail sûres. Eviter les risques d’accident et de blessure nous semble toutefois découler du bon sens élémentaire. Cessons donc d’abreuver les employés et les travailleurs avec des slogans moralisateurs débiles et rendons-leur au contraire la responsabilité et la dignité de pratiquer leur métier en vrai professionnels.

Notes:

1 Hygiène, Sécurité et Environnement, traduction de «Health, Safety & Environment».

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: