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Le fichier central des armes à feu ne servira à rien

Félicien Monnier
La Nation n° 2008 26 décembre 2014

Une révision de la législation sur l’acquisition des armes à feu est en cours aux Chambres fédérales. Adoptée en cette fin d’année par la Commission de politique de sécurité des Etats, elle progresse dans les méandres parlementaires.

L’un des objectifs de la réforme est de recenser toutes les armes en circulation en Suisse. Leur nombre avoisinerait les deux millions, alors que seulement 750 000 figureraient dans les fichiers des polices cantonales. Avec un tel chiffre, la population suisse serait l’une des plus armées du monde, talonnant les Américains dans le monde occidental. La volonté d’enregistrer tous les propriétaires d’armes dans un fichier central est une vieille idée, déjà partiellement réalisée.

Un tel enregistrement peut sembler banal. Pour diverses raisons, les propriétaires de voitures ou d’immeubles sont bien enregistrés, répondent les partisans de la réforme. Pourquoi ne pas soumettre les propriétaires d’armes à une telle obligation? La volonté d’enregistrer ces personnes ne répond malheureusement pas toujours à un raisonnement pragmatique et rationnel. Une partie de l’opinion favorable à ces mesures de contrôle a un préjugé plus que négatif à l’égard des propriétaires d’armes. L’initiative du PS et du GSsA, refusée en 2011 et intitulée «pour la protection face à la violence des armes», exigeait expressément l’interdiction en Suisse des fusils à pompe. Alors que ces armes ne diffèrent guère de fusils de chasse à plusieurs coups, les initiants y voyaient un archétype hollywoodien, au point de vouloir le citer dans la Constitution fédérale.

Une conception idéaliste des armes est malsaine. De nombreuses personnes semblent attribuer aux armes des propriétés quasiment maléfiques. Que certains affirment avoir «peur des armes» est avant tout la révélation d’un problème d’éducation. Grâce à ses nombreuses sociétés de tir et abbayes, et bien entendu grâce à l’armée de milice, la Suisse connaît un taux très élevé d’éducation aux armes. Cette éducation évite que s’opère dans un sens ou dans l’autre une sacralisation de l’objet et une fascination néfaste. Il ne serait pas surprenant que celui qui a peur des armes – ou ne les aime pas – considère par effet de miroir que le fait d’en posséder révèle chez son propriétaire une instabilité psychologique.

Le Conseil fédéral peine à se justifier par de véritables arguments. Il ne cache pas que son but est simplement de recenser toutes les armes. Allons savoir dans quelle finalité. Son seul argument pragmatique est de vouloir permettre à la police de savoir si une personne chez laquelle elle se prépare à intervenir possède une arme. Cette affirmation ne tient pas la route. Ne figurent dans le fichier que les armes acquises légalement. Or les clients habituels de la police n’ont pas l’habitude de se conformer à la loi. Il est aussi facile aujourd’hui d’acheter illégalement une kalachnikov des Balkans qu’un pistolet suisse chez un armurier lausannois.

L’état actuel de la législation (militaire ou civile) permet aux autorités de mener une batterie de tests sur l’instabilité et le danger que pourrait représenter l’acquéreur d’une arme à feu. Aussi le Conseil fédéral ne propose-t-il aucune modification de la loi sur les armes sur ce point particulier. Le régime du permis d’acquisition reste le même. Des modifications sont en revanche proposées dans la loi sur l’armée. L’arme à la maison est bien entendu visée. La principale nouveauté consiste en l’institution de la délation. Les tiers peuvent communiquer aux services du DDPS l’existence de signes ou d’indices démontrant la dangerosité d’une personne. Une base légale est expressément prévue. Cela fait montre d’une immonde défiance à l’égard du citoyen-soldat et du système qui l’emploie.

L’enregistrement des propriétaires d’armes se fait par un complexe et kafkaïen réseau de fichiers aux noms imprononçables1. Ceux-ci sont exploités par les autorités judiciaires, militaires ou policières. Le soldat auquel une arme aura été prêtée ou retirée sera par exemple inscrit dans un fichier auquel les autorités civiles chargées des acquisitions commerciales auront accès. La cohérence de l’ensemble est assurée par une utilisation dite «systématique» du numéro AVS, étendue pour l’occasion aux règles du casier judiciaire. Les raisons du retrait y seront jointes. On ne peut prévoir la future utilisation de ces informations dans d’autres buts. Il suffira de changer la loi.

L’intérêt d’une telle opération est à peu près nul. Le renforcement des moyens de contrôle des autorités militaires sur les conscrits est fait de verbiage rassurant. Ces contrôles sont déjà possibles aujourd’hui. L’utilisation systématique de fichiers fédéraux recourant au numéro AVS donnera à nos autorités l’illusion du contrôle absolu. Les partisans de la réforme affirment avec passion que ces mesures auront atteint leur but si elles empêchent ne serait-ce qu’un décès. On ne saura malheureusement jamais si un mort a été évité. En revanche, des accidents, voire des dérapages, continueront immanquablement de se produire. Cet arsenal totalitaroïde fait de délation et de fichage systématique permettra alors la prohibition de demain.

La véritable question que pose cette réforme est celle de la confiance que l’Etat veut bien accorder au citoyen. Pour un moderne qui ne voit pas d’intermédiaire entre l’Etat et l’individu, la peur de l’assassinat n’est guère éloignée de celle du coup d’Etat.

Notes:

1 Nous renvoyons le lecteur à l’article, actuel et en projet, 32b de la loi fédérale sur les armes, afin d’y faire connaissance avec les fichiers DEWA, DEWS, DEBBWA, DAWA, DARUE. Ces fichiers existent déjà. Leur portée est simplement étendue.

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