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En mode psychopathe qu’il me matait…

Jacques Perrin
La Nation n° 2008 26 décembre 2014

L'anglomanie, le verlan et la sexualité gouvernent sans surprise le parler des jeunes. D’autres sources d’inspiration sont apparues ces derniers temps: l’informatique, la psychiatrie et une sorte de féminisme appelant à l’indistinction des sexes.

Un mec peut être chelou (louche), relou (lourd) ou narmol (normal); tu m’as trop kène (niqué), je te kène (nique) ta gueule!

On termine les phrases par un what, un so what ou plus généralement un what a fuck! pour s’étonner des embrouilles auxquelles on se trouve mêlé. L’indispensable souci (worry) est invoqué sans cesse: y a pas de souci, c’est pas le souci, si c’est ça le souci, alors… Si on a trop la rage, on fighte un mec ou un objet de préférence métallique (les poubelles SLURP ou les casiers à bagages de la gare de Lausanne!). Si on est content, on juge la situation trop swag ! L’origine de certaines locutions nous demeure mystérieuse: j’ai trop le seum, signifiant «je suis triste». Sur Facebook, on like, c’est-à-dire on kiffe, on apprécie.

Comme le téléphone portable (en mode veille, en mode avion, etc.), les choses et les gens agissent toujours en mode ; les «intervenants» de la prévention scolaire mettant en garde les élèves contre toutes sortes de déviances psychiques, certains termes, tels psychopathe (équivalent de délinquant sexuel en puissance), pédophile, pervers, parano(ïaque), schizo(phrène), triso(mique), handicapé, autiste sont en vogue pour décrire un mode: le prof de physique, j’y crois à peine, i’ sait pas expliquer, total en mode autiste, le gars! ou perso, je le trouve carrément relou, le chauffeur du bus, i’ me fixe en mode psychopathe, tu vois, un vrai pédophile le gars, je suis sérieuse là…

Le mot genre parfois postposé renforce l’expression en mode, de façon redondante: trop coince le mec, en mode handicapé du sexe, genre, tu captes?

Une phrase complète signifie parfois le mode: comme elle nous traite, la prof d’anglais! En mode «si vous vous plantez en fin d’année, je suis quand même payée», trop pas sympa la meuf!

Parfois le mode/genre n’est pas précisé, l’interlocuteur n’a qu’à cocher lui même la bonne case, pervers en l’occurrence: Trop flippant! Le concierge, i’ nous matait en mode genre, j’te jure, tu vois comment!

Les bouffons, les boloss, les rejetés, les nazes et les dèches figurent les misérables de notre temps, ceux auxquels on adresse à peine la parole, qui ont trois ou quatre amis sur Facebook (leurs parents proches…), voire aucun: t’es qu’un rejeté, mec, casse-toi, je rigole pas là, on va te démonter! Ils se retrouvent catalogués comme intellos, bourges, geeks, pédés, soumis, larves, fat (gros en anglais), etc.

De plus, l’indifférenciation sexuelle prônée par certaines féministes semble se traduire en mots. Les filles s’adressent à leurs copines en les appelant mec ou gars : salut, mec, t’as un super vernis à ongles, on va au Starbucks? ou eh, gars, j’ai de la thune! un latte macchiato, ça te dit?

Les girlies sont fières des attributs qu’elles n’ont pas: le test de maths, je m’en bats les couilles, mec! Cette fine locution s’abrège en balc ou balec : ma mère, elle me file plus de thune, je m’en balec, j’ai trouvé un petit boulot au Mac d’Etoy!

La fascination pour la prostitution (surtout depuis la sortie il y a quelques années du film Jeune et jolie de François Ozon) apparaît parfois, chez les filles comme chez les garçons, mais l’apostrophe est affectueuse, paraît-il: salut, pute, tu vas bien? Tu me paies un truc au Burgerking?

Rassurons-nous cependant! L’indifférenciation n’est que verbale. En fait, la plupart des filles, triomphantes, soulignent leur féminité tandis que les garçons affichent un machisme carrément relou.

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